CeeJay (JC Crommelynck), Arbres de vie, poèmes, Le Coudrier, 2020, infogravures de l’auteur

 

On le sait, l’arbre n’est pas que racines, tronc, feuilles et branches. Tissé d’évidences secrètes, sorte de pont vertical qui nous relie au ciel et à la terre, il est notre plus fort lien avec le monde. Ne suffit-il pas d’un arbre au milieu de rien pour ne pas se sentir perdu ?

Les arbres sont des êtres qui vivent et nous font vivre. Ce sont ces « Arbres de vie » que chante CeeJay à travers ses poèmes et les infogravures (de l’auteur) qui les accompagnent. Celles-ci (des arbres de chez nous ou de plus lointaines contrées) « collent » si bien à chacun des textes qu’il peut être difficile d’évoquer ceux-ci sans les associer intimement à l’image.

Les arbres de CeeJay (« arbre de lumière qui pousse au pays des rêves et des méditations ») sont des penseurs, des philosophes, et il faut écouter ce qu’ils ont à nous dire.

« Dressé tel un fagot gigantesque/ chaque lamelle de son écorce est une pensée/ pour les entendre il nous faut être dix à l’enlacer/ et le murmure d’histoires commence ».

Tous les arbres racontent une histoire, de notre côté nous leur confions bien des secrets. Homme et arbre, deux solitudes qui se touchent, deux vies à se raconter. S’adosser au tronc d’un grand arbre et écouter le souffle dans ses feuilles, parfois cela suffit…

« Ici est le refuge, le sacré/ l’ombre apaisante/ à laquelle on fait confidence / rassuré par l’âge/ et la maturité / de cet olivier de vie/ éternel nourricier ».

Ce qui nous rassure, chez ces géants de bois, c’est cette idée de solidité, de constance dans le flot de nos vies, ce fragment d’éternité auquel nous nous raccrochons comme si le monde, en même temps qu’il tourne (trop vite et parfois à l’envers) restait d’une certaine façon immuable sous les étoiles.

« Il est des arbres de vies/ de plusieurs vies / dans un souffle de danse/ bien ancrées au sol / les vies s’élancent / en soleil se déploient / attendant que viennent / s’y poser les oiseaux ».

Les arbres sont vivants, oui, mais leur destin est au fond pareil à celui des hommes et ils meurent aussi, ou on les fait mourir (« Tatoués pour mourir, / comme hommes et bétail/ ignorant la marque / mais percevant le rouge ») … Solides, avec « cette puissance de vivre qui rend invincible », fraternels, « deux amis tranquilles et apaisés loin du fracas des villes dans un monde oublié » ; et pourtant, on les abat « comme des chiens /bien qu’ils puissent vivre des milliers d’années ».

Ce beau recueil fait méditer sur la vie, donne à penser sur le monde comme il va… souvent mal.

Il émeut surtout dans ce que nous sentons au fond de nous de plus simple et de plus vrai.

Ce « peuple de bois », ces êtres qui nous sont si différents et en même temps si proches, sont à eux seuls une poésie qui nous aide à tenir. A rêver, puisqu’on ne pourrait pas tenir sans rêver un peu.

En nous couchant « sur le sol dans l’attente des pétales, patiemment, pour prolonger le temps ».

 

Martine Rouhart