Claudine Calozet, Joseph Dewez, Victor George, Bernadette Laloux et Pierre Otjacques, Hommage à Joseph Calozet, Mémoire wallonne, n°23, SLLW, 2020 .

Dans son avant-propos, Bernard Louis situe l’ouvrage: il s’agit des exposés faits à Saint-Hiubert le 27 octobre 2018, à l’occasion de la journée de décentralisation de la SLLW, pour le 50e anniversaire du décès de Joseph Calozet.

Dans un exposé très précis et bien documenté, ce qui ne l’empêche pas d’être très vivant, avec une pointe d’émotion qui perce de temps en temps, Claudine Calozet parle d’abord de la vie de son père. Des évocations prises sur le vif de cette vie à la fois campagnarde studieuse, avec des retours à Awenne, le village natal du père, ses souvenirs d’enfance, et, pour le ménage, les soucis d’une famille nombreuse. Dans son enfance, il gardera les chèvres, participera à la fenaison. Son père sera tué dans la forêt en allant payer les bûcherons (il possédait un atelier de sabotier, où travaillaient 40 personnes), la mère qui gère seule et l’entreprise et sa famille, le remariage, les enfants à la saboterie, occupés à graver des fleurs sur les sabots, les études à Bastogne pour Joseph, Pendant la guerre de 1914, dans la forêt de Saint-Michel et à Awenne, il enverra  par pigeon voyageur des renseignements qui pouvaient intéresser les Alliés.  En 40, fabrication de faux papiers pour empêcher les jeunes d’être déportés. Cela se passe à l’athénée de Namur, dont il est préfet depuis 1933: il finira par être destitué. Avec François Bovesse, devenu son ami, il servira d’otage: les deux amis placés dans le premier wagon du train Namur-Valenciennes, seront exposés les premiers en cas d’attentat.  Son frère Jean, résistant dénoncé, ira mourir à Mauthausen.

Après la guerre, viendront les nombreuses activités au sein des mouvements wallons, notamment les Rèlîs Namurwès et la Société de langue et linguistique wallonnes. En 1945, il sera nommé membre de l’Académie royale de langue et littérature wallonnes au titre d’écrivain dialectal. Au passage, un beau croquis de lui, par le Père Guillaume:  C’était un homme de silence, de bonté et de modestie, qui ne s’extériorisait que rarement, avec une profonde sensibilité et un humour ardennais qui s’exprime par un clin d’oeil plutôt que par la parole. Il fut aussi, après François Bovesse, président des fêtes de Wallonie Sa fille l’a souvent accompagné aux finales de la Coupe du Roi, pour le théâtre wallon. Elle adorait le wallon, et les histoires qu’inventait papa…

Joseph Dewez et Bernadette Laloux: Joseph Calozet: un Ardennais à Namur. C’est en 1908 qu’il fut désigné comme maître d’études à l’Athénée de Namur. Il y rencontre François Bovesse qui sera membre d’honneur des Rèlîs, lors de la présidence de Calozet en 1930. Le cercle avait été créé en 1909. par des élèves de l’Athénée. Ses archives renferment plusieurs poèmes en wallon de Calozet, dont Li Môde, repris ici. Son pseudonyme: Nôwin.ne.En 1914, il participe au réseau de la Presse clandestine. Il prendra part à de nombreuses activités namuroises: soutien aux Cahiers wallons, à la Société royale Sambre et Meuse, à l’Union royale des Fédérations wallonnes, à la Société royale Moncrabeau.

Les archives des Rèlîs apportent une floraison de documents intéressants: ainsi, création de chansons célébrant les activités de toutes les corporations ouvrières, précieux témoignages sur la vie socio-économique à Namur. Chant dès Vèrîs, Chant dès Cot’lîs, fresque lyrique autour du Parc de La Plante, renaissance du folklore namurois, avec Félix Rousseau.

Victor George traite, lui, de L’homme et l’oeuvre. Les sources: dans de nombreux ouvrages dispersés, et notamment la collection des Cahiers wallons, onze pièces dans les Kriegscayès, anthologie d’auteurs des Rèlîs pendant la guerre de 1914. En second lieu, un ensemble de quatre romans. Il était très lié avec le philologue Jean Haust. Il écrira: C’est lui qui m’a montré la richesse, l’harmonie, la beauté des images de ma langue maternelle, un jour qu’il était venu dans mon village pour ses enquêtes dialectales. Et dans ses sources d’inspiration, son village, Awenne, et la forêt ardennaise, joueront un grand rôle. Les titres de ses recueils sont très évocateurs à ce propos: So l’orîre di l’Ârdène, Lès pôvès djins. Mais c’est en prose qu’il va surtout s’illustrer.

Et à ce propos, Victor George écrit très justement: Comment expliquer le charme qu’exercent ces courts romans? A quoi tient leur pouvoir de séduction? L’enchantement délicieux qui en prolonge la lecture? Je suis tenté de répondre: à leur simplicité même, à leur naturel. Nous voici en présence d’un art qui s’efface ou s’ignore pour avoir renoncé à tout effet ou artifice, d’une poésie qui sourd sans recherche, de la réalité la plus prosaïque, d’une littérature qui se distingue par l’absence de toute littérature. Et il citera Willy Bal: harmonie de la matière et de l’expression.

Li brak’nî: une idylle, mais surtout une nouvelle poétique, avec pour sujet l’accord des êtres avec le monde qui les entoure.. Il faut dire aussi que les êtres sont peints d’après nature. Viendra ensuite Pitit d’ mon lès Ma-tantes, le remords d’une faute dérisoire, le destin d’un petit être disgrâcié. Usages paysans, folklore au sens noble du terme. O payis dès sabotîs, une idylle forestière, avec une grande place pour le travail des sabotiers. la vie d’un village ardennais pendant la guerre de 1914. Enfin, Li crawieûse agasse: malveillance, venin, hypocrisie, les villages n’en sont jamais exempts non plus.

Et Victor George termine par une note un peu triste, une lettre à Maurice Piron, en 1955: Je me considère, dans le village que j’ai tant aimé,, comme un étranger, et, le croiriez-vous? Je m’y ennuie parce que je ne m’y sens plus chez moi et que je n’y vis plus qu’avec le souvenir des morts.

Enfin, dans la quatrième partie, Pierre Otjacques évoquera Les écrivains de la région de Saint-Hubert:  Paul Marchot, né à Couvin, philologue classique, puis roman, finira sa carrière en Suisse, aux universités de Fribourg et puis Lausanne. Pierre-Joseph Dosimont, né à Arville, y dirigera une tonnellerie. Il écrira une oeuvre très abondante en wallon. Emile Pècheur, né à Saint-Hubert dans une famille de boulangers. A l’internat de l’école normale d’Arlon, il fondera avec des amis une société de r’côzeûs d’ walon. Il finira instituteur à Saint-Hubert. Ses textes ont une grande valeur aussi bien ethnographique que linguistique. Willy Leroy, né à Forrières, sera instituteur à Vesqueville. Membre fondateur du Groupement des auteurs wallons luxembourgeois, il sera très actif dans toute la province., notamment aussi dans le théâtre walllon. Jean-Pierre Servais, de Saint-Hubert. Philologue roman, il consacrera son mémoire aux Sobriquets de Saint-Hubert, travaillera avec le photographe Jean-Louis Brocart. et collaborera au journal Passe-partout. Enfin, Bruno Picard, né à Arville,où il habite toujours, sera musicien et chanteur, et remportera le Grand prix de la chanson wallonne.

Comme on le voit, une vie bien remplie, et une ample moisson de souvenirs…

Joseph Bodson