Daniel Simon, La troisième nuit, Lansman éditeur, théâtre (2022, 36 pages, 10 euros)

Un homme vieillissant a choisi de s’isoler pour écrire dans une cave-cuisine dont le soupirail est la seule ouverture sur le monde. Il se nourrit de peu, juste ce qui est nécessaire déniché la nuit dans les poubelles d’un supermarché. Jour et nuit, il écoute passer les gens sur le trottoir, courir des enfants, capte leurs paroles, transcrit leurs conversations.

« Moi, je crois que rien ne m’occupait, juste une grande colère que je ne savais pas dire, alors je me taisais. Finalement je me retrouve ici, mon crayon, mon cahier et la vie des autres…parce que la mienne, tu sais la mienne, je la connais à peine, ou trop mais je ne sais pas la dire, alors…regarder et écouter c’est mieux que de se tâter l’âme, ou quelque chose comme ça. »

Un jour, « la porte de la cave-cuisine s’ouvre. Eclaboussures de bruits du dehors. Entre une jeune femme ». Une jeune femme tourmentée, pleine de vie et de révolte, s’impose sans façon, s’installe, bavarde. Ils s’apprivoisent, font la cuisine, épluchent des pommes de terre et les confidences fusent, des deux côtés ; ils racontent leurs désenchantements, ils se racontent, simplement, sincèrement, et avec une bonne dose de dérision.

Elle explique par exemple : dans un petit resto, elle n’avait plus faim, un peu dégoutée « de voir toutes ces bouches qui mangeaient avant de s’embrasser, ou qui s’embrassaient entre les plats, toutes grasses,(…) ». Elle appelle le garçon.
« -Vous n’auriez pas un doggy bag ? J’aimerais emporter les restes…
-Vous avez un chien ? qu’il me dit d’un air soupçonneux.
-C’est pour ma chienne de vie »

Leurs échanges sont en effet l’occasion de réflexions sur la vie, comme elle va parfois de travers, sur notre société et ses manies qui font que les hommes créent leurs propres
malheurs … Il lui dit : « Je n’aime pas vraiment être ici tu sais,(…), j’ai appris à rebondir, encore rebondir, sans cesse rebondir. Le rebond…Le rebond est la position dominante du temps, ne pas rester assis , ne pas flâner, ne pas aller à son pas, presser et rebondir le pas pour enfin rebondir au travail, rebondir dans le malheur, et rebondir dans le deuil, rebondir partout… »
Rebondir, elle aussi devra le faire, elle qui est partie la nuit faire les poubelles à sa place, et qui sera confrontée à la violence de la rue…

C’est l’histoire d’une rencontre comme le hasard en réserve parfois, une rencontre qui transforme et fait avancer, et c’est sans doute la plus belle chose qui puisse arriver à chacun.

« La troisième nuit », une pièce en trois nuits et trois actes, qui met en scène deux personnages, vulnérables et attachants. Tendresse, humour et écriture poétique sont au rendez-vous de toutes les pages.
On espère vivement voir bientôt cette pièce jouée sur l’une de nos scènes théâtrales.

Martine Rouhart