L’Association Charles Plisnier annonce son Prix 2019

Recensions

Poésie

Philippe Leuckx, l’imparfait présent
February 24, 2019
|

François-Xavier Lavenne

Le Prix de Littérature Charles Plisnier de la Province du Hainaut a été remis le vendredi 8 février 2019 à la Maison Losseau. Il a couronné Philippe Leuckx pour son recueil L’imparfait nous mène (Bleu d’encre). Un recueil qui parle de la quête du souvenir et de la survie intime du passé.

Quel est le temps qui nous mène ? L’imparfait, ce passé qui s’étire, inachevé, encore retenu par un lien au présent, emplit le recueil de Philippe Leuckx. La poésie sort de ses interstices, nimbée d’ombres de nostalgie.

L’imparfait nous mène. Quel est ce temps qui pousse en nous et qui remonte loin ? Parfois, comme une paille parle pour tout un champ, un mot lève et sert notre mémoire. (p. 18)

Le poète se promène dans sa vie comme dans un pays de villes et de campagnes. Il recherche les « claires allées de l’enfance » (p. 12), les passages étonnants qu’elle pouvait se frayer. Le paysage qui l’entoure devient un paysage intérieur. Des échos se créent entre ce qu’il regarde et les sentiments qui se révèlent à lui au rythme de ses pas. Souvent, il éprouve la sensation d’être aussi déserté que les espaces qu’il traverse. Les gares apparaissent comme des lieux de vague où se mêlent le passé, le présent en errance – symbolisé par une dispute de jeunes gens –, les esquisses incertaines de l’avenir. L’homme y éprouve le mouvement de son existence. Attendre sur un quai, s’asseoir dans le wagon d’un train provoquent irrépressiblement une méditation métaphysique.

Je reprends le train des soirs, des gares désertées, des derniers parcours […]. (p. 35)

De même, les heures du jour et la suite des saisons offrent au poète des métaphores directement sensibles de la vie qui passe en lui, autour de lui ; elles permettent d’exprimer l’âge qui s’avance et voit les « forces de l’été » (p. 20) lentement céder la place. Le soir n’est pourtant pas sans charme. Autour de sa présence, se cristallise, dans l’imagination, la vertu du calme, la patience lentement acquise, la douceur d’une gravité.

Avec le soir avance l’espèce de patience
Qui s’ose dès vent tombé à l’heure de la louve
Avec l’herbe encore chaude sous la main
Et le corps placé entre jour et nuit
Dans la caresse des roses
Dans l’instance des pertes. (p.15)

L’homme sent toutefois que, sur le chemin de la vie, l’imparfait croît en son dos et le dépouille de la sérénité d’une enfance qu’il a emportée. Le poète se retourne pour retrouver les humbles gestes d’autrefois, ceux de sa mère trempant la brosse dans le café noir pour ôter les taches des habits du dimanche. Il éprouve la persistance intime, rassurante, du passé qui se perpétue en lui.

Je retourne souvent là, au secret. Le village dort entre les pailles. Le ronflement de mon père jusqu’au bout du couloir. Qu’il m’a laissé en legs, quitte à déranger G. et les autres. (p. 46)

Dans la mise en relation de l’expérience du temps et des images de l’espace, le village devient le lieu secret de la mémoire, où l’identité peut se retrouver, et le crépuscule s’associe au souvenir, qui fuit en illuminant le ciel de la vie. La recherche de l’imparfait semble trouver un aboutissement dans une image spatiale apaisante du temps, celle des racines enfoncées dans la terre familière (p. 30). L’imparfait a alors une saveur, une charge émotionnelle, une douceur liée à son caractère itératif. Il est le temps de la vie ordinaire, simplement heureuse, celle qui était prise dans la répétition calme et ordonnée des activités quotidiennes et qui égrenait le moulin de ses joies.

Petites lumières des jours pâles. L’on a cru voir ces étincelles au cœur des murs. Les petites choses battantes. Les poussières. Le passé avec sa corde de joie. Le rire des pigeons qui console des mauvais apôtres. (p. 41)

L’imparfait est aussi un temps qui peut-être douloureux, qui adhère au présent, menace de l’envahir. L’homme a alors la sensation d’être empli par les ombres et de vivre en retard sur lui-même (p. 17).

Un fragment du passé peut en outre se corrompre au gré des souvenirs, se ternir à force d’être mêlé au présent et à d’autres strates d’une vie. Le futur peut même parfois être obstrué par l’imparfait, relégué dans son ombre.

Que suivons-nous lorsque nous nous précédons ? Notre futur s’ombre souvent de ce nous avons vécu […] ! Et nos pas déjà s’embarrassent de broussailles ! (p. 34)

Le plus douloureux est le risque que, d’imparfait, le passé devienne passé simple, qu’il se réduise à quelques « pauvres traces », « des photographies usées, dont la sépia même a fini par être corrodée » (p. 33). Alors le souvenir pourrait n’être que le souvenir de la perte et les lambeaux épuisés du passé risqueraient de revenir sans fin hanter une vie en tête à queue.

Que sauvons-nous des greniers enfermés ? Qui sait, au fin fond des antres du passé ?
[…]
Je le sais. Parfois, le passé remonte comme une écume douteuse.

Des toiles effilochées descendent de pauvres traces de ce que nous avons humé, le salpêtre de caves, la trame pisseuse des étables ouvertes l’hiver et leur odeur de vilain ammoniac. (p. 33)

Le poète tente, en griffonnant dans les marges de l’oubli, de trouver les harmonies des sensations du présent et du passé. Il cherche une densité de l’écriture qui va de pair avec l’espoir de « vivre à plus grande densité » (p. 21). Ce mouvement s’exprime dans la structure du recueil qui commence par des poèmes courts et évolue vers des proses poétiques denses, quoique brèves, proches du journal, où l’imparfait et l’actuel entrelacent leur fils dans la tapisserie de l’instant présent.

L’imparfait qui mène le poète n’est toutefois pas que l’autrefois retenu au présent comme la queue d’une comète, il est également un processus qui met en mouvement l’écriture. Le poète cherche la perfection, elle est l’horizon de sa plume, un horizon dont la fonction est d’être impossible à atteindre. La sensation d’un imparfait relance sans cesse l’écriture, oblige le poète à continuer sa recherche d’un imparfait présent, d’un imparfait rendu présent par la poésie. Ce travail poétique, Philippe Leuckx l’associe au travail de la terre. Il rappelle en effet qu’il est issu « d’une lignée de fermiers poètes » (p. 32). Son recueil n’est-il pas une sorte d’étable, « l’étable des jours usés » (p. 41) ? Comme le fermier travaille son champ, le poète travaille la page pour tenter de retenir l’imparfait d’une vie imparfaite, mais tellement précieuse.

Philippe Leuckx, L’imparfait nous mène, Bleu d’encre, 2015, 50 p.

François-Xavier Lavenne

Tags:

Philippe Leuckx

Bleud’encre

Prix Charles Plisnier

Maison Losseau

poésie