Avis d’une spectatrice:

Nous fûmes dimanche dernier deux fois heureux.
Tout d’abord de prendre place dans un fauteuil de théâtre, ce qui ne nous était plus arrivé depuis environ deux ans. Ensuite, d’assister à un spectacle de qualité, porté par l’interprétation magistrale d’une comédienne – laquelle dans chacun de ses rôles nous y fait croire – comédienne entourée de quatre comédiens et d’une autre comédienne tout aussi excellents.
Portés par une direction de jeu talentueuse, des costumes en accord avec les personnages et un décor superbe, toutes et tous ont excellé à donner vie à cette histoire puisée dans le passé. Il fallait en effet bien des talents pour arriver à ce « travail remarquable », selon les mots de l’auteur qui a pu voir sa pièce jouée deux fois, avant qu’elle ne soit arrêtée en plein vol par le confinement suite à la pandémie.
Le texte, qui ne manque pas d’intrigues, est de Philippe MADRAL, auteur français, qui aborde ici : l’intolérance religieuse, le fanatisme, l’amour, l’amitié, la justice. Il est né de l’horreur que lui ont procuré les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan, ceux de Bruxelles, de Zaventem … à la suite de « blasphèmes ». Notion fondamentalement religieuse qui ne relève en aucun cas du droit pénal, mais aujourd’hui encore punissable de mort dans bien des pays.
L’action se situe en 1766. Alors que la société monarchique commence à basculer sous les coups de boutoir des philosophes, tels Diderot, d’Alembert, Helvétius ou Voltaire, Louis XV décide de s’appuyer sur l’église. Le jeune chevalier de la Barre se rallie à la liberté de penser. Ce qui lui vaut de mourir, à l’âge de vingt ans, pour impiété, blasphèmes et sacrilèges. Condamné par le tribunal d’ Abbeville, sa cousine, l’abbesse de l’abbaye de Willencourt en appelle à l’Évêque, au Parlement de Paris, au roi. Peine perdue ! Après avoir été soumis à la question Ordinaire et Extraordinaire, cinq bourreaux s’occuperont de lui. Inculpé sans la moindre preuve, ni aveu, il sera décapité et brûlé, un ouvrage de Voltaire cloué sur la poitrine. Il monta sur l’échafaud sans plainte ni colère disant au religieux qui l’accompagnait : « Je ne croyais pas qu’on pût faire mourir un gentilhomme pour si peu de chose. » Mais quels crimes abominables avait commis le chevalier pour mériter de tels traitements inhumains ? Alors qu’il traversait une place à toute allure pour échapper à la pluie, ne pas avoir ôté son chapeau au passage d’une procession, accusation aggravée par la découverte chez lui du Dictionnaire philosophique de Voltaire.
Une pièce d’une richesse et d’une actualité bouleversante. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler en janvier 2020 « l’affaire Mila », une adolescente de 16 ans accusée de blasphème alors qu’elle s’en était pris à l’islam et aux religions, sans pour autant porter atteinte à des individus. Menacée de viol, d’être enterrée vivante, elle a été contrainte de quitter son lycée et vit sous protection policière … L’écrivain Salman Rushdie a dû vivre treize ans caché et reste menacé. Plus de trente ans après la fatwa lancée contre lui, s’il vit aujourd’hui comme tout le monde, c’est cependant encore sous protection policière … Combattant l’obscurantisme de son pays, le Bangladesh, Taslima Nasreeen, gynécologue et écrivaine, a elle aussi dû fuir, accusée de blasphème par des musulmans radicaux…Visée par une fatwa la condamnant à mort, en possession d’un passeport suédois, elle vit depuis plus d’un quart de siècle entre l’Europe, les États-Unis et l’Inde.
L’intolérance ne désarme pas !!! Je salue le courage de la Comédie Claude Volter et de son Directeur Michel de Warzée qui ne craint pas d’aborder des sujets « périlleux ». Une précédente pièce « Gunfactory » abordait le commerce des armes, gigantesque trafic, une bombe à retardement où les chiffres donnent le vertige… sujet des plus délicats s’il en fut !

« Le Blasphème » se joue jusqu’au 17 octobre à La Comédie Royale (depuis septembre) Claude Volter, Av des Frères Legrain 98 Woluwé St Pierre (tel 02/762.09?63)
(Sans masque pour les personnes vaccinées)
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