BEAUX-ARTS
EXPOSITION


À La Louvière, inventaire de cent ans de collection artistique
Depuis quelques années, La Louvière, ex-ville industrielle qui vient de fêter ses 150 ans d’existence, a pris un essor culturel assez impressionnant. Outre la rénovation de ses rues, la prolifération sur les façades du centre d’aphorismes empruntés à des régionaux, le placement de sculptures monumentales publiques et l’action dynamique de son centre culturel, ses musées ont été valorisés : Centre de la Gravure, Daily Bul, Kéramis et l’ancien Ianchelevici rebaptisé MiLL. L’inventaire de la collection artistique de la commune vient d’être établi en guise de bilan provisoire.
Le livre « Trésors cachés » met en valeur les pièces significatives et en les situant en contextualisation avec l’évolution politique et socioculturelle de la région et du pays. Les collections municipales sont souvent de qualité moyenne. Elles se sont construites au départ par des dons d’artistes locaux ou par des achats officiels restreints à une production géographiquement proche, davantage avec des préoccupations plus clientélistes qu’esthétiques fort liées « à un contexte commémoratif et à des motivations de décorum ».
Donc, comme partout, il y a d’abord ce qui a trait à la cité elle-même, attestant de son histoire, de sa géographie, de ses habitants : paysages, portraits, manifestations folkloriques, etc. Le volet figuratif de la collection n’a pas à regretter de montrer ces œuvres en dépit de leur côté un peu désuet. Non seulement parce qu’Anna Boch est louviéroise mais aussi parce que le groupe Nervia (Léon Navez, Louis Buisseret, Anto Carte, Léon Devos, Taf Wallet, Jean Winance) a produit en harmonie avec l’époque selon « son académisme fécond, entre tradition et art vivant ». Acquisitions et donations évolueront à partir de la moitié du XXe siècle, avec notamment un apport provincial non négligeable.
La présence de la faïencerie Boch induit évidemment la nécessité de conserver des témoignages de sa production. Une collection s’esquisse et deviendra même en 2015 un nouveau musée communal, ‘Keramis’, bien doté d’œuvres contemporaines : Empein, Iezzi, Doyen, Cornil, Alberghina…
Mais l’histoire artistique de La Louvière est surtout riche du mouvement surréaliste qui s’y est développé autour du poète Achille Chavée (1906-1969). La fondation du groupe ‘Rupture’ en 1934 va rassembler des artistes divers et débouchera l’année suivante par une exposition provocatrice qui réunissait entre autres Arp, Chirico, Dali, Ernst, Magritte… qui fut, tout en laissant des traces, malheureusement sans lendemain face au conservatisme artistique ambiant.
En 1945, reprise d’activités sous l’impulsion de quelques-uns. On y retrouve Chavée mais aussi Pierre Alechinsky, Pol Bury. On expose Permeke, Rouault, Picasso, Fini, Kandinsky… Ce sera là encore d’assez courte durée. Onze ans plus tard, Chavée relance de manière sporadique l’impulsion contemporaine en fondant ‘Schéma’ avec, entre autres, Hélène Locoge, Freddy Plongin, Rémy Van den Abeele. Un peu avant se prépare en parallèle une aventure qui connaîtra une existence moins éphémère : le ‘Daily Bul’ d’André Balthazar qui mêlera aux créateurs locaux des noms tels que Topor, Chaissac, Segui…

Vint ensuite le ‘Centre de la Gravure et de l’Image imprimée’ qui va marquer durablement la reconnaissance du contemporain à partir de 1988. D’abord dirigé par Balthazar, puis par Catherine de Braekeleer, il exposera des noms essentiels du XXe siècle (Miro, Dubuffet, Serra, Jorn, van Velde, Belgeonne, Van Malderen, Opalka, Bourgeois, Buraglio, Scully…) et engrangera plus de 13.500 pièces dont près de d’un millier appartient à la collection communale. Cette activité dynamique ne doit pas occulter une institution moins prestigieuse, le musée Ianchelevici, devenu le Mill, qui n’a cessé de multiplier les expos temporaires dans lesquelles ont défilé nombre de plasticiens de toutes tendances. Ni omettre l’influence non négligeable des innombrables invités de la biennale Artour qui propose un parcours à travers la région depuis 1997 en familiarisant le public à des démarches souvent insolites.
À ne pas négliger non plus le souci de la ville de se doter d’un patrimoine public à installer dans la cité même. Par exemple, sur un rond-point d’entrée en cité, un monumental Pol Bury accueille les visiteurs grâce à son ‘Capteur de ciel’. Ailleurs, c’est un ‘Signal’ en acier corten inspiré par les châssis à molettes des charbonnages signé Jean-Marie Mathot. Près de la place Communale, prolifèrent les ‘Scribble’ de Michel François. Afin d’évoquer le passé faïencier de la région, une assiette géante brisée de Lucie Soufflet interpelle sur un trottoir. Émile Desmedt a intégré au sol, un peu plus loin, des motifs géométriques évoquant des aubiers. Les ‘Arbres de vie’ d’Anne Jones se dressent rue de la Loi.
Outre un chapitre de ce livre consacré aux lauréats du Prix du Hainaut (Paulus, Carte, Navez, Camus, Scouflaire, Feuillien, Jamsin, Pelleti, Rolet, Authom…), un autre s’intéresse aux femmes artistes du Hainaut. Et le catalogue final permet de remarquer l’une ou l’autre œuvre particulièrement intéressante. Ainsi l’ ‘In memoriam Mack Sennett’ de Magritte, le ‘Tram’ hyperréaliste de Fauville, les abstractions géométriques de Dusépulchre, Dubois, Malengrez ou Noël, un ironique collage de Marïen, les créatures fantastiques de Galand, l’humour de KIrkpatrick , l’insolite ‘Robe ajourée’ en métal de Saudoyez, un paysage pictural de Van Haelmeersch qui ne fait cependant pas oublier que ceux en céramique qui étaient installés en ville ont été détruits par des engins de chantier car une administration, même de bonne volonté, ne parvient jamais à tout maîtriser.
Désormais, La Louvière peut se targuer d’un patrimoine artistique qui couvre tous les courants de l’histoire récente de l’art. Ce bien collectif étant de la sorte mis à disposition de la population tout entière.
Michel Voiturier (10.07.2020)
Benoît Goffin, Thierry Delplancq, Ludovic Recchia, Michel Host, Christine Bechet, Gwendoline Moran-Debraine, Denis Laoureux, Valérie Formery, Adèle Santocono, Catherine de Braekeleer, Catherine Henkinet, « Trésors cachés, 100 ans de collection artistique à La Louvière », Bruxelles, Racine, 2018, 304 p. (34,95€)