Mi-fable mi-raison Michel Voiturier         éd.Traverse, 2022,  153 pages, 17 €

Aphorismes ? Réflexions, maximes, pensées ? Je parierais plutôt pour des silènes, vous savez, ces petites boîtes dont parle Rabelais, dont l’extérieur ne paye pas de mine, mais dont le contenu est un véritable délice. Oui, il est comme ça, lui aussi, Michel Voiturier, un peu rugueux au premier abord, mais combien riche, en vérité. Et s’il semble parfois s’amuser, nous mener en bateau, ce n’est jamais qu’une apparence.
Parfois, on dirait des caractères, d’hommes, mais aussi de bêtes, et puis cela vire, vers la moitié du livre, et l’on y trouve aussi des qualités, des circonstances…mais toujours, avec la même substantifique moëlle. Ecoutez le plutôt ,à propos du boucher, p.23 (tiens, c’était aussi un film de Chabrol) : Les criminologues continuèrent à se préoccuper des crimes commis par d’autres tueurs en série, les journalistes à traquer les pédophiles et les stars en mal d’adultères. Et voilà par terre, telle qu’en elle-même, une part intéressante de notre société.
Que vous en dire encore, qui ne soit pas que verbiage ? Un style direct, concret, épuré. Tenez, à propos du canard : Le bruit ébroué de ses ailes met en sursaut les somnolents, les patients, les caressants du lieu. // Sans gêne, l’animal sinue vers l’écluse, injurie le calme, détricote le soleil reflété, transgresse la sérénité et l’harmonie du moment. // Qui lui en tiendrait rigueur Chacun le sait : le bruit qu’il provoque est celui de sa solitude. Mine de rien, quelques verbes ou adjectifs employés pour ainsi dire hors de leur propos, et qui préparent la fusée de la fin : la solitude du canard, nous le savions bien, n’est-ce pas, n’est autre que notre solitude.
Ou bien, dans Chant, le chanteur de service, en ce funèbre service ; rien que de très banal, à part sa belle voix, qui a raté sa vocation, et nous qui sommes là, attendant quelque chose qui ne viendra pas : Visiblement, l’individu souffre d’une vocation brimée de ténor à l’opéra. Il a, comme on dit, une tonalité à réveiller les morts. Cependant, peine perdue, sur le catafalque, rien ne bouge ni ne bougera. Nous le savions, bien sûr, que rien ne bougera. Mais cela va tellement mieux en le disant, en ce stupide matin d’hiver.
Mais restons en là, nous n’allons pas tout détricoter…Des perles, vous en trouverez tout au long de ces pages. Ces brefs récits, ces drames du non-être et de l’inexistence, de l’amour-propre démesuré et de la fausse culture, il les traite avec un art consommé de la mise en scène. Mais vous y trouverez aussi, au-delà de l’humour, qui rime heureusement avec l’amour, de l’émotion, de la tendresse, qui ne vont pas, eux non plus, sans une certaine rugosité. C’est tout lui.

Joseph Bodson