Olivier Terwagne, Mal blessée, Bruxelles, Traverse, 2017, 208 p. (18€)

Pratique des pratiques littéraires

Bouquin fourre-tout, coffret à figures de style, expérimentation des niveaux de langue, exploration des genres littéraires, laboratoire langagier, anthologie d’intertextualité : Mal blessée est tout cela simultanément. C’est devenu le livre fragmenté d’ «un romancier raté, au pire un poète ».
Visiblement, Terwagne s’est amusé. Il use à foison du pastiche et de la parodie pour faire de ce faux journal intime d’une Chimacienne, fille naturelle potentielle du philosophe Nietzsche et de la sulfureuse écrivaine Anïs Nin, si pas de la chanteuse de jazz Amy Winehouse. La bâtarde serait comme cette œuvre une hybridation de la culture gréco-latine avec une transfusion linguistique de l’Ouvroir de Littérature potentielle.
Comme il n’est pas question de lire cet ouvrage d’une traite mais plutôt en tenant compte qu’il est composé de fragments, chaque lecteur aura loisir de s’amuser à repérer les écritures qui se succèdent, se combinent : prose et vers, description et narration, monologue et dialogue, journal intime et chroniques, conte et fable, chanson et slam, lettres et analyses critiques, aphorismes et glossaire éclairés de définitions, épigraphes ainsi que citations, y compris minimalisme et novlangue. Quant aux figures de style, le choix est étendu puisqu’on découvre, entre autres, métaphores, calembours, néologismes, allitérations, onomatopées, rimes, anaphores, oxymores… Cette écriture passe aisément d’un niveau de langue à un autre, du français pincé à la crudité populaire, du mot à étymologie savante au franglais immigré intégré.
Il en va de même pour le contenu. Éclectique, l’auteur est nourri d’une culture panachée. Elle s’étend d’Ésope ou Socrate à Francis Jammes ou à Brassens et Bashung, de Montaigne à Kierkegaard et Cioran, à Louis de Potter face à Raoul Hedebouw, à Vivaldi précédant Bowie, à Rubens antérieur à Braque… L’omniprésente télé est loin d’être absente puisqu’on y rencontre « Apostrophes » de Bernard Pivot et « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier. Ceci sans omettre ce qui concerne le cinéma, notamment la filmographie d’ Arnaud Desplechin. Et même, parfois, des méconnus tels le politicien Théodore Colocontronis ou le chansonnier Jacques Grello.
Sur fond d’escavèche, de kriek et de chimay, l’humour y est jubilatoire. Mais se tempère d’ un engagement. Il s’y parle de l’histoire de Belgique, de terrorisme, d’Europe, de consumérisme, de mythologie, de communication, d’érotisme et de pornographie, du milieu littéraire… passés sous un regard critique. Ce n’est pas innocent si le sous-titre du livre se réfère au Musset des « Confessions d’un enfant du siècle » qui raconte ses désillusions par rapport à son époque. Terwagne met ici en valeur sa virtuosité au même titre que sa causticité.

Michel Voiturier