Au manque de neige

L’hiver frappe doucement, c’est la neige.

Le printemps tapote mollement

A sa porte capitonnée de blanc.

Puis, la neige fond et l’hiver lève le siège.

Chaque flocon est un infime marteau

Qui frappe et descend épaissir le manteau

De silence assourdissant.

Et si l’on a oublié de mettre des gants,

Le froid cuisant enfonce des aiguilles

Sous les ongles.

On se cogne contre le museau glacé

D’un loup immense qui gémit

Et qui gronde.

Le vent n’aime pas les frileux,

Les suppôts insipides de la tiédeur

Et il s’acharne spécialement sur eux

En se délectant de leur frayeur.

« Quel temps hein, Madame ? ».

« Vivement le printemps,

N’est-ce pas Monsieur ? »

C’est qu’au comptoir de l’épicerie

Chacun prie les dieux du climat

En appelant de tous ses vœux

La pluie !

L’humide grisaille qui ennuie le poète

Enivre de bien-être les petites têtes.

« Et quand on pense à tous ces sans-abris ! »

« Oh oui, mon Dieu ! Les pauvres…

Vous voulez quoi comme viande,

Madame ?»

« Pour oublier tout ce blanc,

Donnez- moi 300 grammes

De tache noire. »

« Ah ! Ah ! Vous allez voir :

Elle est excellente ! »

« Quoi ? Ma blague ? »

« Elle est excellente aussi. »

La terre ne frissonne plus sous les picotis

Parce que la couche est trop épaisse.

Une course d’oiseaux jetés à bas laisse

Des fines empreintes de pas très petits.

Le silence mat musèle leurs pépiements.

Le gel s’attendrit mais leur cloue le bec,

De même qu’il tient les bavards en échec

Boudant derrière la laine de leur écharpe.

L’espace est muet mais clignote: des lumignons

Envoient des signaux en morse sur un sapin.

Les fêtes passées jettent encore leur grappin,

Accrochant en vain l’âme du grognon qui passe.

Les roues d’un hideux camion

Tracent des sillages bourbeux

Ecorchant la couche de neige

Jusqu’à la noirceur du goudron.

Chaque voiture laisse derrière elle

Comme un bruit d’averse.

La neige est beige, puis noire.

Les sifflements du long serpent

De la circulation vous transpercent.

De l’hiver, déchirant la toison magnifique,

Après les premières éclaireuses,

Deux sillons bruissant se creusent

De plus en plus dans le flux du trafic,

Les lumignons envoient encor leurs signaux

Blêmissant dans les faisceaux des phares

Qui sont comme des yeux de cafards

Dans les cohortes roulantes du Fléau.

Et dans chaque cafard automobile,

Un cloporte encore plus nocif et débile

Transporte son inutilité du bureau

Vers la tiédeur infecte de son domicile.

D. Pisters, le 18 janvier 2014

À un petit cheval de débardage

J’ai mené un petit cheval de débardage

Mais, je dois l’abandonner, robuste copain,

Jamais à court de souffle parmi les sapins

Dans le choc sourd des sabots plus lourds que les âges.

Il est le symbole en moi d’un certain entrain

Dans l’effort rythmé par le refrain des ahans,

Et quand le cheval est au repos dans son champ,

Je viens lui caresser longuement le chanfrein.

Ma traversée des bois me mène plus loin.

Quelque gaillard plus exigeant en prendra soin,

Mais travaillant plus dur, sera-t-il plus heureux ?

Ce qui mouille la frange de ses cils si doux,

Je sais, ce n’est pas la tristesse des adieux

Mais un peu de rosée du soir au mois d’août.

Daniel Pisters – le samedi 17 mai 2014

Un épisode lié au cheval ardennais a largement marqué la mémoire populaire : seuls ces chevaux seraient revenus vivants de la campagne de Russie, alors que 12 000 à 14 000 chevaux y trouvent la mort (une autre source fait état de 30 000 chevaux morts en une nuit). Les militaires qui survivent à cette expédition racontent que les chevaux ardennais se contentaient pour toute nourriture du chaume qui recouvre les habitations, et qu’ils résistaient au froid, à la fatigue et à la faim.

Près de 40 ans plus tard, les éleveurs belges se racontent l’histoire comme une légende locale : « Napoléon prisait fort leurs qualités et des régiments venaient recruter leurs montures chez nous. Dans la fatale retraite de Russie, les chevaux qui résistèrent le plus longtemps, ceux qui supportèrent la faim et la fatigue, et qui revirent encore, mais en bien petit nombre, les champs de victoire du départ, ce furent nos petits ardennais. » (Source wikipedia)