Lucien Noullez, Caresser les jours, Journal 2005-2006, éditions du Pairy. 245 pp, Préface de Christian Schoenaers.

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Si, à l’heure actuelle, les autobiographies et récits de vie abondent, les journaux se font de plus en plus rares, de même, bien sûr, que les correspondances. On peut le regretter: nous y perdons bien des choses, de par notre volonté de communication immédiate. C’est privilégier l’emporte-pièce, en négligeant la réflexion. Ready-made, comme pas mal de choses.

Le présent livre nous est d’autant plus précieux. L’auteur, bien sûr, a de grands prédécesseurs, comme ce Charles Du Bos, qu’il évoque souvent, ou Georges Haldas. Deux noms à ne pas oublier, et qui furent, en ce qui me concerne, des auteurs de référence, avec Romain Rolland, dont on ne parle plus guère, et c’est bien dommage.

Les thèmes qui reviennent le plus souvent, dans ce journal? La religion catholique, et l’on sait de reste combien Lucien Noullez dépense d’énergie pour la servir: retraites, colloques, articles…Avec toujours une réserve: il préfère le contact direct, l’engagement personnel, à tous les beaux discours qui se perdent dans les sables des généralités édifiantes. Lucien est constamment surchargé, surmené, mais c’est dû, justement, en bonne part, à ce goût, à ce don de l’amitié, qui le porte spontanément vers les plus jeunes, démunis d’expérience, et vers les plus pauvres, ceux que l’on nomme avec mépris les paumés. Il a, je crois – et cela se sent constamment, à le lire – le don de la parole vraie, du geste juste. Et de plus, le scrupule, la crainte continuelle de ne pas être à la hauteur. C’est que ce contact est tellement difficile, délicat. Il est rare que l’on en ait un retour – d’autant plus chaleureux qu’il est moins cherché.

Le culte de la famille, aussi: combien de fois son épouse, sa fille, n’apparaissent-elles pas dans les pages de ce journal, évoquées toujours avec la même délicatesse. Ainsi aussi, cette vieille tante de Blankenberge, dont il s’occupe beaucoup. Et voilà Lucien sur les routes, d’Orval à Blankenberge, de Lège à Charleroi. Il n’est pas rare de le croiser dans les gares. Il n’hésite pas non plus, dans une gare, justement, ou à une terrasse de café, d’engager le dialogue avec ses voisins. Pour lui, la charité, la vraie qui est avant tout présence à l’autre, est une vertu cardinale. Comme s’il venait de partout, de tous les êtres croisés, un appel parfois pressant: j’étais là, et vous ne m’avez pas trouvé, vous ne m’avez pas parlé. Que l’autre soit juif ou musulman, peu importe. J’étais là, je t’écoutais.

Bien sûr, en ces temps de haine, parler d’ouverture et de compréhension est une sorte de luxe. Ce luxe, il nous faut l’assumer. Une attitude hostile répand autour de soi la haine et la crainte, et bientôt une surenchère du mépris envers tout qui, tout ce qui, est autre, différent. Lire Lucien Noullez, c’est un excellent antidote.

Bien d’autres choses encore, que vous découvrirez en le lisant. Son amour pour la musique, à laquelle il consacre des heures, à l’écouter, parfois en lisant la partition. Ses longues, très longues marches, de nuit parfois, dans l’insomnie. Ses fatigues, ses découragements…

Mais aussi un côté gamin, farceur: ainsi, un jour, dès potron-minet, il se promène dans un parc, s’installe dans une sorte de berceau de verdure, pour lire à son aise, caché de l’allée. Une dame bien  mise s’y promène, appelle son chien: Hercule! Hercule!, et Lucien a toutes les peines du monde à refréner son envie de prendre une grosse voix pour lui répondre: Je suis là! Je suis là!

Une lecture roborative, au travers des peines, des difficultés, mais aussi les unes sont-elles plus proches des autres que nous le croyons.

Joseph Bodson