Michel CLAISE – Essai sur la criminalité financière, le club des Cassandre. Racine, 2015, 208 pages, 19, 95 euros.

Magistrat, Michel CLAISE  est aussi homme de lettres. D’emblée, la référence  à Cassandre, « ou l’échec des ambitions humanistes »,  nous saisit. Elle sera suivie de nombreuses autres, de Jules Verne à Paul Valéry, en passant par Dante et Zola.

Mais, venons –en à la question qui ouvre le livre. Elle est simple : trente ans après l’appel de Genève (1er octobre 1996), lancé par sept magistrats européens anticorruption, les mondes politique et financier, les citoyens ont-ils pris conscience des dégâts commis, ont-ils agi en conséquence ? Ou ceux « qui dénoncent et se battent contre la délinquance financière  ne sont-ils que des Cassandre ? »

La matière peut rebuter tant elle est technique, sorte d’hydre juridique aux multiples têtes (fiscale, sociale, financière, pénale, etc….). Alors, ouvrage de droit ? A strictement parler, non. C’est plus.  Dès le départ, l’auteur annonce la couleur : cette étude est « abordable par tous ». Oui, tout citoyen soucieux de comprendre ce monde, par-delà (Jenseits, comme l’écrivait Nietzsche) l’évènementiel, l’épidermique trop souvent véhiculé par la presse, se doit de lire le livre de Michel CLAISE. La sortie de ce livre doit être saluée, à une époque où trop souvent, autour de nous, on n’entend que des Jérémie se lamentant ou des Rachel éplorées, sans aucun esprit critique.

L’œuvre s’articule en trois parties, la première, consacrée à une approche du concept dans la société mondiale actuelle, la seconde, à une galerie de portraits des infractions financières, la troisième, à ce que l’auteur appelle « le complexe du Brahmane Sissa ».

L’auteur prend le lecteur par la main pour l’introduire, de manière très pédagogique, dégagée des poncifs juridiques, au sujet : un bref regard sur le passé, remontant à la Grèce antique, jusqu’à notre monde où sévissent la criminalité financière et l’intégrisme religieux, regard suivi d’une invitation à gravir les sept marches  allant de la banale fraude (« Avec ou sans T.V.A. ?») au terrorisme, les trois dernières marches étant celle de la grande criminalité. On l’aura compris, c’est un horizon plus vaste que celui de la « simple » ( ?) lutte contre le blanchiment d’argent, p.ex., que nous ouvre Michel CLAISE, un monde ou tout se tient : « Le terrorisme est donc entré de plain-pied dans la sphère de la criminalité financière, par l’importance du phénomène mondial qu’il représente en termes de déstabilisation des Etats ».

Il faudrait aborder chaque chapitre, tant tout ici est important et a de multiples ramifications. Ce n’est cependant  pas l’objet d’une recension. 

Après qu’aient été citées quelques institutions internationales guerrières ( et aussi nationales),  engagées dans ce conflit (ainsi, notamment,  de l’OCDE, du GAFI, du FMI et de la Banque mondiale, de la Cellule de Traitement des Informations financières (CTIF), de l’ISI au sein de l’Administration fiscale), est posée la question de la détection des infractions financières (Qu’est-ce qu’une opération suspecte ?), ce, avant d’aller sur le terrain avec magistrats, policiers fédéraux, puis découvrir l’enquête et le procès, pour conclure en ce sens qu’ « à défaut de changer les mentalités et les comportements, une refonte complète de la procédure s’impose », et avant de terminer par une intéressante réflexion sur la transaction pénale.

Arrivés à ce point, on attend avec le plus grand intérêt – qui ne sera pas déçu – la galerie de portraits des infractions financières. Nous voici sur le terrain des infractions, donc des lois, sans pour autant verser dans l’exégèse juridique . Ainsi que l’expose l’auteur, l’objet de l’ouvrage  est «  de proposer au lecteur une approche vivante, en évoquant le cadre général dans lequel elle évolue, les moyens actuels aux mains de ceux qui la combattent et l’état des lieux du système répressif ». Ainsi abordons-nous notamment la fraude sociale avec … Van Gogh, la contrefaçon (marché prolifique en matière de droits d’auteur),  le blanchiment d’argent (« les blanchisseurs sont parmi nous, glissés dans les rouages de l’économie et de la finance, et, protégés par les techniques bancaires…… »), le délit d’initié (introduit dans le Code pénal belge depuis 1989), la fraude fiscale,  la cybercriminalité (vous saurez l’essentiel sur le skimming, le phishing,le hacking, le bitcoin, etc…) , mais il ne nous appartient pas ici de reprendre la table des matières….

La troisième partie, au nom énigmatique (V. supra), se réfère aux produits criminels de l’année précédente qui, chaque année, s’ajoutent à ceux de l’année qui suit, d’où l’urgence à agir. Outre ce qu’il y a à faire au plan mondial, on sera particulièrement attentif au tableau ici dressé de ce qui se passe en Belgique, aux différents plans d’actions, sous ce titre révélateur : « Belgium , no point ! ». Une brève conclusion regroupe quatre causes de nature à expliquer l’emprise de la criminalité financière sur les démocraties et on comprend qu’il y a vraiment péril en la demeure et urgence à agir.

Mais, in fine , l’homme de lettres ressurgit  pleinement – connaît-on des ouvrages  qui allient de manière si heureuse « droit et littérature » ? –  avec une nouvelle mettant en scène la « Caïman Targuet International Fight ». Clin d’œil malicieux à la CTIF…..

Bref, un  ouvrage à lire, notamment pour comprendre ce tremblement de terre qui secoue non seulement les pays arabes, mais aussi les démocraties occidentales.  Que chaque citoyen s’en imprègne, d’urgence et que les hommes politiques entendent cette sonnette d’alarme et en tirent les conséquences.

 

                                                                                              Michel WESTRADE

                                                                                              4 février 2015