Annemarie Trekker, Naissance d’une grand-mère, roman, L’Harmattan

Cela pourrait être le début d’un conte de fées: Il était une fois…Tim, Tam, Tom, Lili et Lulu. Mais c’est aussi, les deux pieds solidement ancrés dans cette terre que foulèrent déjà les Mères, les Grandes Mères, comme les appelait Goethe, un livre du réel, abordant, au fils des pages, pratiquement tous les grands problèmes de l’heure. Et c’est, encore et surtout, une sorte de psaume magnifiant le rôle de la femme dans notre société, de la mère devenue grand-mère. Rôle tout d’abord de tisseuse et de jardinière: je me souviens que dans ses précédents ouvrages, Annemarie présentait l’histoire d’une grand-mère comme une tapisserie, un ouvrage d’aiguille, auquel collaborent les générations successives.

Ainsi parle-t-elle avec admiration de Nane, l’une de ses grand-mères: C’est elle aussi qui m’a fourni, alors qu’elle était une enfant dite « naturelle’, un profond ancrage au sein d’une famille terrienne et paysanne, dans le pays d’Arlon.

Le sommet du livre, c’est le récit, très précis et détaillé, de la naissance de Lulu, la petite dernière. Mais là, je vous le laisserai découvrir par vous-mêmes, je ne veux pas vous gâcher le plaisir. Un point important tout de même: la présence constante de Jean-Pierre, son époux, à ses côtés, les émotions partagées, la complicité devenue une seconde nature. Pour le reste, je dirai simplement qu’Annemarie n’est pas de ceux qui à tout propos se répandent en regrets sur le bon vieux temps, elle sait faire la part des choses, et accepter joyeusement du progrès tout ce qu’il a de bon – quitte à réagir contre ses dérives. Cela, elle le dit clairement, à diverses reprises: elle est une femme d’aujourd’hui, et  sa belle carrière professionnelle est là pour en faire preuve. Mais nous touchons là  un point sensible du livre: le déchirement que peut représenter la séparation d’une jeune mère et de son enfant, lorsqu’elle reprend le travail.  On essaye bien d’y remédier, par le congé de paternité, mais on est encore loin du compte. Déchirement aussi entre la carrière d’une femme, dans une société où le stress devient de plus en plus prégnant – songez au burn out, et la tranquillité, le calme dont un enfant a besoin pour s’épanouir. Est-ce que les jeux électroniques peuvent y contribuer? Annemarie, là aussi, est  confiante en l’avenir.

Mais la mère va devenir grand-mère, et Annemarie Trekker déroule cette attente en un tapis somptueux, p.19: L’importance est de saisir l’essence de ces petits miracles  qui m’ont permis de naître et de renaître grand-mère lors de chaque naissance , à la fois semblable et différente à chaque fois, parce que chaque petit enfant m’a transformée au passage. Il a fallu pour cela souffler à travers l’anneau trempé dans le bol d’eau savonneuse et regarder s’envoler les bulles à travers l’espace, les laissant librement y tracer leur voie.

Ici, nous touchons à un autre art, celui de souffler les bulles. Un art parfaitement désintéressé: la tisseuse produit des vêtements, les bulles s’irisent au soleil, et puis disparaissent – mais elles ont eu le temps d’enchanter notre souvenir. Et c’est là peut-être, chez Annemarie, le sommet de l’art: faire flèche de tout bois, transformer en joie les épreuves surmontées, transmuter chaque geste du quotidien en souvenir étincelant. Pouvoir dire enfin, comme l’Enée de Virgile, songeant à ses peines actuelles: Celles-ci aussi, un jour, nous seront une joie dans le souvenir – Et haec olim meminisse iuvabit.

Elle le dit d’ailleurs bien mieux que moi, en terminant son livre des joies et des peines, par une adresse à Lulu:

Et je te soufflerai:

« Ecoute dans le vent, la réponse est dans le vent. »

Joseph Bodson