Anne-Marielle Wilwerth, Ce que le bleu ne sait pas du fragile, poèmes, éd. Le Taillis Pré   , 2019. Encres d’Eric Hennebique.                 

                                                                                      

Comme pour laisser ouverte l’infinitude qui l’habite, Anne-Marielle n’a pas numéroté la page du dernier texte du recueil, laissant peut-être ainsi s’échapper les mots afin qu’ils se fassent, en pensées, oiseaux libérés confondus avec les lentes vagues de l’écrit qui, presqu’en permanence, l’habitent : « Les mots/ de l’inespéré à eux seuls/ sont capables d’ouvrir/ le monde ».

  Si les thèmes d’Anne-Marielle Wilwerth sont universels, la manière de les appréhender est très personnelle : « ce que le bleu ne sait pas du fragile », la poète le sait mieux que personne.

Elle a appris. Dans le sens noble du terme, avec patience et progressivité, construisant, de livre en livre, un univers propre dans lequel, promeneuse, elle guide le lecteur dans le sens humain et littéraire de ses bonnes intentions à faire éclore, faire découvrir le monde à la fois réel et onirique qui l’habite.

 L’auteur utilise, à bon escient, le mot choisi nécessaire à sa vocation partageuse : « Les vagues/ parlent si bas/ qu’on les entend à peine/ C’est l’instant où le silence/ éteint l’incendie/ des inutiles bavardages ».

 Ancrée dans son mystère comme une barque prête à franchir une destination insulaire, la poète se prépare au miracle : « Dans le berceau des barques/ bleus blottis/ s’apprêtent à voler aux flaques/ bouées et coquillages/ C’est peut-être là/ que tout commence que tout finit ». 

Nul propos solitaire dans cette démarche poétique qui demande un cheminement de lecture lente pour saisir toute la suavité des mots ; nous avons, au contraire à faire à une personnalité très sociable, partageuse : « Avons-nous déchiffré/ le même parchemin/ celui dont le vin si léger enivre/ et où l’intense/ à la fin/ double sa mise ».

Gourmande de lumière, la poète rayonne du moindre prétexte, rendant parfois l’image à la taille de sa sublimation : « Le phare ne serait-il que mirage/ contre lequel/ bute/ la brume impatiente/ du regard ».

« On sait si peu de choses ». Avec sa discrétion très caractéristique, la poète, nourrie de rare et absolue observation permanente (rien ne lui échappe) confirme de ne pas « ébruiter (N’ébruitons pas) ce qui en nous si profondément respire, sans pour autant être dupe : « Le temporel parfois est retardé/ d’avoir trop longtemps contemplé/ ce qui jamais ne reviendra ».

 Reste que tout est possible : « A coup de rames/ nous rejoindrons/ nos possibles/ dont les barges/ disséminées au large/ se disputent l’espace », la poète rappelant également, à juste titre, que « le rare/ crayonne/ ce que caresse déjà/ la mémoire vierge/ des pages », distillant une pensée construite avec un langage propre activé avec un certain doigté lexical qu’on lui connait bien.

 Patrick Devaux