Marcel Peltier, La Vie rien que la Vie toute la Vie, poésie minimaliste , postface d’Olivier Salon, postface d’Olivier Salon, édition du Cygne

Deux phrases courtes et une césure suffisent à Marcel Peltier pour en dire autant qu’en plusieurs pages explicatives. C’est que cette poésie ne s’explique pas, mais elle se vit.Ce peu de mots renforce même tellement l’idée qu’on semble assister à un coup de « bluff » ; mais la poésie est-elle autre chose que de blanchir ce qui est déjà évident, à l’instar de « Voiles/ Blanchissent/ la mer blanche » ?

Cette poésie fait mouche « de mémoire » puisqu’une amie poète, alors que j’évoquais la parution du nouveau recueil de Marcel, m’a spontanément déclamé, avec un grand sourire : « Ma tasse ébréchée/ J’y tiens », ces mots sortis d’un autre recueil de poèmes du même cru qui fut présenté au public de l’A.E.B.

Marcel Peltier est un des rares poètes activant des titres de recueils plus longs que ce qu’il dit entre les lignes alors que c’est justement parfois cette « politique du peu » qui donne une idée d’abondance. Un autre poète à maîtriser les mots de cette manière n’est autre que Guillevic. Comme ce dernier, Marcel est un briseur de parois, un pourfendeur de matière sublimant son enclume jusqu’à en faire jaillir, très soudainement, un mot ou deux qui semblent surgis de nulle part, tels ces

« Vitraux/ Quels témoins/ De Vie ! » où c’est la durée suggérée de ce qui est évoqué qui prend la place de ce qui est réellement dit.

L’étonnement est à chaque détour de mot, le tonitruant (à sa façon) poète ayant cette force de faire surgir plusieurs idées multiples en seulement quelques mots : « Gilet/ Jaune/ ou pas/ La classe » avec aussi l’intention délibérée de suggérer chez le lecteur une ambiguïté de fait.

En effet, à lire, sommes-nous dans ce que l’auteur a écrit ou dans ce que nous croyons, nous, lire ?

Et, même après avoir lu, subsiste comme une sorte de doute.

La progressivité du langage n’a d’égale que parfois une modeste répétition d’un seul mot ayant force d’application à renforcer un geste qui n’est même pas énoncé : « Usé/ L’escalier/usé ». En effet, on se sent fatigué de ne pas le monter, cet escalier ! Et c’est bien là que réside la puissance d’évocation, l’art du peu.

Cette appréciation vaut également pour la position de l’idée dans l’espace avec des rapprochements suggérés ; exemple : « Le banc/ De mouettes/ Ces ailes ! ».

Le poète aime cet entrechoc des idées confrontant les mondes différents libérés de leurs motivations préconçues premières ; exemple : « Sans réseau/ Avec des vaches », ceci avec un vocabulaire premier mais réinventé comme on laisserait, en science, flotter des atomes entre eux qui s’attireraient sans se toucher. En effet, cette poésie inventive se veut avant tout superbement libre.

Pour ce poète, peu importe le moment de son action. C’est pour lui une manière de faire vivre un quotidien magnifiquement observé autrement, avec pour recette, par exemple ces « Escargots/ Baignant dans la sauce/ D’ail des ours ».

Si c’est l’apparence première qui annonce la couleur, c’est la réflexion incitée, abrupte, qui suscite l’émotion finale ; ainsi, avec « Vinaigre/ Déposée/ La marque L’Etoile », cette idée très utilitaire du vinaigre qui, in fine, en à peine cinq mots, donne, avec son dernier mot, une idée cosmologique.

Tout est maîtrisé et voulu, pensé jusqu’au dernier carat. Sur chaque page quatre idées qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, autant de rebondissements qui, pourtant, donnent une impression d’ensemble. La cohérence de l’incohérence, en somme.

Les mots choisis avec parcimonie ne le sont jamais par hasard : « La fermière/ Avec ses œufs frais/ Ponctuelle ». Avec l’œuf, on retrouve ainsi également l’idée et le son du mot « ponte » dans « ponctuelle ».

Ces provocations littéraires, non dénuées d’humour (« Haï- kaïsation/ Ils vont me maudire ») sont à appréhender par leurs mots, par leurs sons, par leurs sous-entendus à laisser dériver les sens différents dans leur propre science.

On croit qu’on va lire vite. Rien n’est plus faux. Cela prend un temps fou.

Oui ! L’auteur est « Libéré/ Des chaînes de la routine » quand une seule lettre (!), (ô), donne toute la dimension cosmologique de ce qu’il veut dire.

Marcel, adepte du mouvement « Oulipo », aime le rappeler in situ : « Route oulipienne, verdure/ Monet », l’idée principale étant d’écrire un poème valable avec le moins de mots possible.

Une postface d’Olivier Salon éclaire parfaitement à ce sujet.

Patrick Devaux