René Régordane, Pourquoi ne vous parfumeriez-vous pas comme moi de fragrances sauvages ? Recueil de chroniques, 2019 chez l’auteur.

Il est des auteurs qui avancent à pas mesurés, sans tambours ni trompettes, mûrissant leurs écrits. Ainsi en est-il de René Régordane en son recueil de chroniques qui rassemble 50 billets d’humeur  rédigés de septembre 2017 à avril 2019.

À propos du « rien » noté de la main de Louis XVI dans son journal intime le 14 juillet 1789, l’auteur se demande si le temps qui nous sépare de 1789 nous a valu davantage de sagesse, constat lucide et amer qui traverse en filigrane l’entièreté de l’ouvrage. Et cet autre constat posé en liminaire : « Si tout bouge dans nos sociétés, on le sait, tout reste stable dans celle des humains. » Autrement dit, l’Histoire bégaye.

Mais quel est donc l’objet et quelles sont les motivations de ces chroniques ? Refusant de « se coucher béatement devant le réel », Régordane entreprend de dénoncer les manques, les travers et les excès de la société contemporaine. Chacune des 50 chroniques commence par l’observation d’un fait, d’une situation qui interpelle. Par exemple les migrants, les Golden sixties, l’Europe, la mondialisation ou le nettoyage ethnique. Après avoir décrit cette situation et fourni une brève analyse, l’auteur en tire une réflexion personnelle toujours marquée du sceau du bon sens. Le plus souvent cette réflexion débouche sur des questions qui induisent un type de réponse. Cette méthode s’apparente à l’ironie socratique, procédé par lequel le célèbre philosophe grec mettait en évidence l’ignorance de ses contradicteurs et l’absurdité de leurs propos.

Dans l’article  Aut Bruxelles aut nihil, Régordane examine comment Bruxelles est devenue la ville appelée communément « Capitale de l’Europe ». Suit alors l’exposé des implications dans le contexte des réformes de l’État belge et du régionalisme. Dès lors, une question s’impose, conclut l’auteur : « La capitale de l’Europe a-t-elle omis de prendre en compte qu’ici-bas, toutes les choses s’en vont un jour en se réduisant à rien ? » En d’autres termes, il s’agit de l’entropie, terme introduit en 1865 par le physicien allemand Clausius et qui désigne le principe de dégradation de l’énergie et par extension l’affaiblissement de l’ordre, sa transformation, sa désorganisation. Cette idée que tout passe, tout change, tout s’efface semble bien être le fil conducteur de l’ouvrage.

Çà et là cependant apparaissent des notes d’espoir. S’agissant du déclin de la culture, l’auteur évoque le Louvre-Lens. À propos des CFC liés à la destruction de la couche d’ozone, il souligne le revirement des politiques lorsqu’ils se sont aperçus que l’enjeu n’était rien moins que la disparition de l’espèce humaine. Quelques chroniques prennent la forme de fables, telle « La symphonie animale ». Elles apportent un vent de fraîcheur à l’ensemble.

Parmi d’autres aspects intéressants de cet ouvrage, il faut encore souligner les qualités stylistiques, notamment lorsque Régordane parle du vin (« Enivrez-vous »), de la nature (« Le deuil d’un géant ») ou de son chat.

Jacques Goyens