Paul Mathieu,  D’abord un peu de jour,  Editions Estuaires, 2019.

D’abord un peu de prose, de poésie orale, de vie ordinaire, dans l’attente d’un train, quelque part dans le fin fond de la Belgique, de la Lorraine ou peu importe le lieu, du moment qu’il soit commun. Le lecteur est intrigué par cette voix amicale, presque familière, ces vers fragiles, flottant dans le petit matin timide, ces mots de tous les jours qui se perdent dans le brouillard, sur la buée des vitres, dans ces maigres quartiers de lumière qui éclairent le décor. Quelqu’un nous parle, un voyageur anonyme, assis sur un banc ou accoudé à un bar, comme dans un poème de Prévert ou une toile de Hopper. Il nous dit des mots d’une clairvoyance surprenante sur les choses de la vie, le mystère du premier vers sur la page blanche, l’impermanence des sensations, des émotions et des élans, la perte imprévisible de sens, l’appel du lointain, le dur désir de durer, l’insoutenable légèreté de l’être, l’indécision qui nous gêne, qui nous entraîne vers l’ailleurs, vers l’absolu qu’on ne découvre que dans les vieux  livres romantiques…On aimerait lui demander son nom, il répondrait qu’il s’appelle Personne,  comme un certain Pessoa qui se cachait derrière plusieurs identités, selon ses humeurs ou les couleurs du temps.  On jette alors un œil sur le carnet qu’il tient, dans lequel il écrit à la main, une main étrangement mensongère, lit-on à la fin de la page. Songe, mensonge, rêverie ou confidence, aveu d’impuissance exprimé en un long  slam silencieux,  appel pudique à témoin, à rencontre, à échange ?…  Les lignes sont presque physiques, quasi charnelles, on les prendrait bien à notre tour dans les mains, d’autant plus qu’elles tiennent à peine le long des marges, qu’elles sont reliées par de discrètes esperluettes, ces conjonctions de langue commerciale, ces petits signes d’imprimerie qui nous font penser à des paraphes de fonctionnaire pressé… Mais au fond du texte, entre les ombres rigoureuses de l’encre, on saisit la question essentielle : Sur quelle respiration se forge le poème ? sur quel moment de vivre ?  Entre le flou de nos heures, nos pas hésitants, notre mal de vivre ou de dire, et par force ou chance, nos hymnes de foi, de liesse ou de conquête, où se situe le champ de la poésie ? L’idéal, l’éclat d’un sonnet, la noblesse d’une élégie ou le spleen banal, la chanson triste et douce de nos rimes incertaines ?

                                      malgré l’incertitude

                                      on tend ses mots dans le vide

                                      & le miracle vient

                                      d’une réponse inespérée

 

 La réponse était peut-être dans les mains de l’enfant amoureux des images que nous étions mais nous ne pouvions alors que vivre cette vérité sans la comprendre ni surtout pouvoir l’écrire… Par bonheur et pour notre plaisir, la poésie poursuivra le rêveur éveillé comme son ombre… D’abord un peu de jour perplexe et puis le poème s’en va nourrir la feuille blanche… Un pur et beau moment d’écoute et de partage.

                                                        Michel Ducobu