Jean Jauniaux, L’ivresse des livres, nouvelles, Zellige, 2020 – Préface de J De Decker

Douze nouvelles très variées, même si elles convergent sur un même thème. Assez brèves, certaines disent l’essentiel et délivrent l’émotion en deux ou trois pages. Toutes, rendent hommage aux livres, compagnons indispensables de nos petites existences… Car ce sont eux, les « vrais » héros de chacun des textes de ce passionnant recueil.

A chaque fois, il s’agit d’une vraie rencontre, de celles qui comptent dans une vie. Entre un humain et ces êtres de papier, maîtres de la lumière. Le destin de chaque personnage est ici, d’une manière ou d’une autre, relié aux livres.

Le lecteur est pris par ces histoires, toujours fortes et touchantes, parfois doucement ironiques, parfois tristes, désenchantées ou baignées de vague nostalgie.

Jean Jauniaux aime à se pencher sur les « vies minuscules » et met particulièrement en scène des déshérités et des « accidentés de la vie ». C’est ainsi que l’on croisera par exemple le chemin fragile d’une clocharde vivant dans une cabane à outils à la gare du Midi, qui s’est mise en tête d’y constituer une bibliothèque. On rencontrera un amoureux de lecture qui perd progressivement la vue ; sa volonté, sa façon de réorganiser sa vie future sans renoncer aux livres et sa profonde résilience (qui aura des effets inattendus) est une vraie leçon de vie, porteuse d’espoir, la preuve -oh combien encourageante et rassurante- que, quoi qu’il advienne, un bonheur est toujours possible si l’on s’accroche. On fera aussi la connaissance d’une juge pleine de bon sens qui prononce une condamnation originale à l’encontre de jeunes délinquants, et de bien d’autres figures encore, comme celle d’un bagnard qui sauve des pages de livres dans un pays qui a supprimé toutes libertés et fermé les portes du savoir…

Les librairies, refuges des écrivains, des éditeurs et des lecteurs, sont aussi mises à l’honneur (1).

« Ce soir-là, la librairie ne ferma pas ses portes. Toute la nuit l’enseigne projeta sur l’avenue sa lumière bleutée. Un visiteur, s’il avait regardé à travers la vitrine, aurait vu les jeunes gens assis entre deux montagnes de livres (…) Les livres ouverts faisaient comme des dunes derrière lesquelles les lecteurs s’abritaient la nuit » (Le Pavillon de lectures).

Et puis ce texte si émouvant, à propos d’un libraire dont la boutique va être rasée par les bulldozers, dévastée par le monde « moderne ». « C’était le dernier jour. Des clients, des amis, des membres du comité de soutien aussi se pressaient au rez-de chaussée de la librairie. Tout le monde était venu saluer Alonso, se promener dans les travées, feuilleter un livre rare. Certains avaient même demandé une dédicace au vieil homme. Vous imaginez cela : un libraire dédicaçant les livres qu’il vend ! » (L’exploit)

A travers ces récits mêlant réalité et fiction, dans une belle langue fluide, d’une voix douce et insistante qui retient de déposer le livre ne fût-ce qu’un moment, Jean Jauniaux nous parle de lecture, de son urgence, des mutations dangereuses de son contexte, de son intemporalité et de son absolue nécessité. Il exprime combien les livres et les histoires qu’ils racontent sont salvateurs, parfois même miraculeux, tant pour la santé physique que mentale.

 

 

Il tire aussi la sonnette d’alarme. Il faut à tout prix préserver les livres d’un monde qui est en train de perdre, si l’on n’y prend garde, des valeurs essentielles.

Les livres élargissent l’esprit, enrichissent, c’est une véritable conversation qui se noue entre eux et le lecteur. Ils ouvrent les rêves et l’on ne dira jamais assez la puissance de l’imaginaire et de  ces chancellements à l’intérieur de soi.

« Les jeunes gens que je vois aujourd’hui n’ont plus aucun repère, plus aucune référence, plus aucun regard. Leur imaginaire s’est atrophié. Par excès d’images ! » (La juge de la jeunesse dans la nouvelle « Que justice soit faite !). 

Martine ROUHART

  • L’on se permettra de signaler, autour de ce même thème, le recueil de nouvelles collectif qui vient de sortir aux éditions Murmure des Soirs, « Du côté des librairies ». Il réunit treize auteurs de la maison d’édition pour dire merci, en ces temps particulièrement difficiles, à nos amies les librairies …