Jacques Goyens, Une Europe des Régions (Richesses et singularités), Academia, 2022.

Les neuf régions que l’auteur a choisi de présenter sont, dans l’ordre : le Nord de l’Angleterre, la Wallonie, l’Ile-de-France, la Catalogne, la Vénétie, la Bohême, la Saxe, Saint-Pétersbourg et l’Oblast de Leningrad, l’Attique et la Grèce centrale. Un addendum indispensable précise que l’ouvrage a été mis à l’impression au moment où débutait l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le contenu n’a pas été modifié mais le lecteur observera, sans aucun doute, la distance critique nécessaire.
Jacques Goyens part du fait que l’Union européenne, telle qu’elle se présente aujourd’hui sous la forme d’un ensemble de 27 nations, est contestée, mal comprise et victime d’une bureaucratie envahissante. Il préfère envisager la dimension européenne sous un jour différent, subjectif et arbitraire, reconnaît-il, mais particulièrement riche sur les plans historique, culturel et même économique. Quelle méthode adopter pour composer et détailler ce vaste patchwork ? La description géographique, l’histoire politique et militaire, le patrimoine, exceptionnellement varié, le survol des problèmes spécifiques de chaque région et enfin les perspectives d’avenir qui leur sont ouvertes. Un programme ambitieux qui devrait permettre de voir autrement le futur de l’Europe. A l’heure où elle rassemble toutes ses forces militaires, diplomatiques et matérielles pour défendre son économie et ses frontières et soutenir en même temps un pays voisin agressé, cette vision fort intellectuelle et didactique peut surprendre mais rappelons que cet essai précède le conflit armé mais a été néanmoins contemporain de la crise mondiale du Covid qui a conscientisé considérablement et rapproché même, à certains moments, les acteurs du monde politique, à tous les niveaux, national ou européen.
L’auteur a rassemblé une documentation impressionnante et chaque région concernée est décrite par le menu. On y voyage comme dans un Guide Bleu, avec plaisir et intérêt, retrouvant ou découvrant des villes ou des sites aimés ou inconnus. Parcourir une région en une trentaine de pages, se poser les bonnes questions à son sujet, éclairer le destin de chacune dans le contexte politique actuel européen, est chose utile et devrait intéresser tout particulièrement nos étudiants en fin d’Humanités. Un travail de synthèse et de vulgarisation à ne pas négliger à l’heure où leurs cours ont été sérieusement perturbés et privés d’échanges et de discussions.
Quant aux questions de fond, elles sont nombreuses et susciteront certainement le débat ou la contestation. Qu’y a-t-il de commun ou de différent entre l’avenir de l’Ecosse, de la Catalogne ou de la Flandre ? Entre l’histoire des régions de l’Italie et celle de l’Etat central français, entre la Hanse teutonique et le Marché Commun de 1957 ? Entre l’Edit de Milan de 313 imposant le christianisme et l’intégrisme islamique, redouté aujourd’hui dans nos démocraties ? Entre les 24 langues officielles de la Communauté européenne et le basque, le breton ou le catalan ? Entre la mondialisation de l’économie et les quelques Eurorégions qui s’organisent entre certaines parties de l’Europe ? Chaque éclairage mérite d’être envisagé et de faire l’objet de savants rapprochements, voire de prometteuses perspectives. Le Comité européen des Régions (CdR) s’en charge régulièrement et rédige sur ces sujets des avis et des résolutions. L’essayiste les relève avec une certaine confiance et croit en l’avenir d’une Europe fondée sur la collaboration entre les régions, rappelant que le nom même de notre continent devrait être un symbole d’union des partenaires plutôt que d’évoquer l’enlèvement d’une déesse grecque par un Zeus suprême ou supranational, transformé en taureau blanc. Y verrait-il une future hégémonie régionaliste, suite à l’implosion des Etats-nations actuels ? Serions-nous à ce point déroutés et désabusés par l’impuissance et la lourdeur de nos institutions européennes ?
Un essai qui mérite en tout cas l’analyse, au cœur d’une actualité brûlante qui inciterait plutôt chaque citoyen européen à soutenir la résistance et la collaboration efficace de nos dirigeants occidentaux face à l’agression d’un régime dictatorial, impérialiste et antieuropéen qui met gravement en danger l’équilibre mondial.
L’Europe de la pensée, certes, mais fera-t-elle le poids face à la pression des armes et à l’ambition démesurée de certains despotes nostalgiques ?
Le livre de Jacques Goyens nous rappelle l’importance primordiale des idées qui seules devraient éclairer notre destin.

Michel Ducobu