Isabelle Bielecki Qu’importe la porte éditions Le Coudrier, Collection Sortilèges, 2025, 88 p., 22 euros.
Tout lecteur, quelque peu cultivé, connaît le proverbe dont Musset a tiré une jolie comédie en un acte : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée…
Le nouveau recueil d’Isabelle Bielecki l’exploite à son tour et de quelle plaisante manière ! En une cinquantaine de dizains à la fois poétiques et narratifs, chaque poème pouvant également devenir le début d’une histoire, d’un conte ou même d’un tableau figuratif. Pour preuve, les sept superbes montages photographiques réalisés par Pierre Moreau entre les fines colonnes textuelles.
On pouvait s’y attendre de la part de l’autrice, toujours en équilibre téméraire entre la tension et la grâce, l’aventure et le repli sur soi, la porte qui claque et le porte à faux qui trouble. Sûre de son style, moins de ses expériences à vivre ou de ses rêves à partager. Il en va d’elle-même comme de ses personnages : Il suffirait d’un pas vers cet ailleurs où l’attend… C’est bien là que se situe tout l’intérêt de ce court recueil, tenter ou ne pas tenter, brûler ses ailes ou les préserver pour le vol intime d’une page à l’autre…La liberté enivrante du hasard ou la quiétude du livre à chérir à l’abri du désordre extérieur, le refuge dans l’art et l’imaginaire, la richesse des analogies, des images, des voix, des monologues, des questions sans réponses… Isabelle y excelle, jonglant avec les ombres, le cri des goélands, les brouillards des petits matins, les craquements autour de soi, les tâtonnements dans le vide, les parfums de l’inconnu… Quel formidable foyer de découvertes ou de vertiges, de mystères ou de souvenirs que ce palier que l’on entrevoit, ce labyrinthe sans lumière, ces escaliers trompeurs, ce voisinage sans visage ! Tout y deviendrait en un seul instant piège ou tentation, ou simplement une autre histoire à vivre, un geste, une invitation adressée à l’artiste tapi dans son ombre à composer des œuvres fantastiques, des scènes et des figures fascinantes ou énigmatiques. Nous entrons ainsi dans un autre monde, nous arpentons des chemins inconnus, nous découvrons la poétique de l’espace, ouvert ou caché, secret, silencieux, compagnons d’Alice au pays des merveilles et des émotions quotidiennes que nous avions oubliées.
Le noir sur ses épaules, Isabelle s’y avance masquée, nous souffle le préfacier, Eric Allard. Est-ce pour mieux jouer avec le lecteur et le persuader qu’il y a toujours un risque malgré tout à s’éterniser entre deux portes ?…
Si je ferme la porte, je suis sauvé. Si je l’ouvre, je suis libre…Elle importe vraiment, cette sacrée porte ! Choisir, c’est renoncer, aurait dit ce coquin de Gide et se priver est si dommage…Nous voilà bien dans l’embarras ! Et si on laissait la porte tout juste entrebâillée ? Avec un simple marque-page, un signet invisible…
Michel Ducobu