Corinne Hoex, Décollations, Paris, l’Âge d’Homme, coll. La petite Belgique, 2014, 90 p.
En gastronomie, la Belgique francophone connaît la paupiette ou roulade de veau farci baptisée ‘oiseau sans tête’, enseigne par ailleurs d’un restaurant de l’Île-de-France. En poésie, il y eut les « Quatre sans cou » de Robert Desnos, le «Je perds la tête » de Gilbert Delahaye, l’aphorisme de Scutenaire : « Je perds souvent la tête. On ne me la rapporte jamais ».
Les romans consacrés à Harry Potter connaissent le ‘chapeau sans tête’ qui rend invisible, ainsi qu’un Sir Nicholas de Mimsy-Porpington alias Nick-Quasi-Sans-Tête. Henri IV a fait l’objet d’un livre intitulé « Le Roi sans tête ». Viviane Moore a écrit un thriller historique sous le titre de « La femme sans tête ». Sans compter les références recensées par Corinne Hoex elle-même en fin de volume : Dumas, Villiers de l’Isle-Adam, Restif de la Bretonne, Leroux, Lovecraft et consort.
En chanson, si on perd souvent la tête dans les romances d’amour, voici maintenant « Le Cavalier sans tête » de Damien Saez. Au cinéma, on a vu le court métrage de Solanas « L’Homme sans tête » et un film de Tim Burton « La Légende du cavalier sans tête ». Quant aux jeux vidéo, ils connaissent aussi leur « Cavalier sans tête », leur « Poulet sans tête » et un zombie acéphale.
Corinne Hoex vient s’ajouter à cette liste avec ses « Décollations ». C’est d’abord un joyeux exercice de style tournant autour du vocable ‘tête’, de son champ lexical, de ses expressions, de ses signifiés potentiels au propre comme au figuré. Le tout ayant pour pivot central un de ses thèmes récurrents, celui de la fille mal aimée par une mère envahissante voire castratrice, épaulée par un mari passivement à sa suite.
Ce pourrait être un autoportrait, un de ceux peints par les surréalistes pratiquant à la fois la figuration réaliste et les associations absurdes. C’est celui d’Eugenia (la bien née), prénom ironiquement significatif pour une enfant persécutée. À travers l’exploration de la vie de cette personne atteinte d’acéphalie, membre d’une famille où sa maladie semble peu à peu devenir contagieuse, il y a en effet pas mal d’ironie. À commencer par ce proverbe appliqué au quotidien : « Il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour moi, quelle vérité ! ».
Teinté d’autodérision, l’humour est noir, on s’en serait douté. Il baguenaude aussi du côté de la parodie, de la pataphysique chère à Jarry et à Vian, des jeux de mots évidemment puisque c’est le point de départ de cette écriture, du comique de situation. Il s’agrémente d’anecdotes empruntées à l’histoire, aux martyrs béatifiés… Il s’étale dans un inventaire des avantages et des inconvénients à n’avoir ni crâne, ni visage, ni chevelure, ni oreilles. C’est drôle, un bon moment à passer, oserait-on l’affirmer ?, en tête-à-tête avec Corinne.
Michel Voiturier