Jacques  De Decker – Le ventre de la baleineéd. Weyrich – Plumes du Coq- 184 pages

 Le roman débute par un rêve d’une extraordinaire précision, sorte de tableau surréaliste d’un monde sous-marin nimbé de rêve, où l’on fait appel à tous les sens pour pénétrer dans un univers à la fois merveilleux et dérangeant jusqu’à l’angoisse. Monde que le rêveur, « pétrifié d’horreur et sidéré d’admiration », perçoit, impuissant, derrière les vitres de l’engin dans lequel il se trouve. Etrange introduction à ce qui suit… Allusion au quidam fasciné par l’inquiétant manège politique qui se déroule sous ses yeux comme un spectacle et dans lequel il voyage sans rien diriger ?

Version romancée inspirée de faits réels (l’assassinat d’André Cools), l’œuvre est une occasion de mettre en scène la politique vue sous différents angles et une réflexion fouillée sur le pouvoir, ses limites et ses dérives, sur les réactions qu’il suscite chez ceux qui le détiennent et chez les autres. Le livre met en scène en sections séparées, qui se relient au cours des pages, trois modules. Thomas et Marthe, jeunes parents d’un petit Jonas, pleins d’amour, d’idéal et d’une sorte de sagesse « populaire ». Arille, vieux ténor du parti « retiré des voitures » et Thérèse, cantatrice à succès beaucoup plus jeune, en qui il voit sa dernière femme ; avec en filigrane, la figure de Louise, sa première femme, toujours fidèle et jamais oubliée. Et un troisième couple, Thierry, en relation professionnelle avec Bernadette, journaliste politique, amenés à travailler ensemble sur l’affaire.

L’œuvre oscille entre deux pôles, amour et politique, habilement mêlés On y trouve une étude de différentes relations amoureuses finement observées et, au travers de ces regards d’hommes et de femmes, on discerne la difficulté d’appliquer la démocratie sans que le pouvoir, le fric et le culte de la personnalité ne viennent pourrir l’idéal premier.

A tout seigneur, tout honneur, l’amour. Il a une place de choix, entre les différents couples observés : le jeune, avec enfant, basé sur l’essentiel, la vie et sa transmission, l’amour et son rayonnement, la foi en la justice pour tous ; Arille et Louise, vieux couple lié pour la vie malgré des voies séparées, ; le couple plus ou moins secret, d’Arille et Thérèse, qui apporte l’apaisement au vieil éléphant politique ; et le couple surprise, Thierry, qui se trouve embarqué dans une relation soudaine avec Bernadette…

Et l’autre pôle, le politique, où l’on voit les hommes, bien faibles devant les tentations et facilement corrompus par le pouvoir, acceptant aisément d’avoir à leur tour les privilèges de ceux qu’ils combattaient, se donnant la bonne conscience de ceux qui ont fait avancer le progrès social et qui méritent bien cette récompense… La politique de gauche n’a plus de gauche que le nom. On voit chacun défendre son os avec acharnement et sans aucun scrupule, oubliant que le politicien ne devrait pas compter en tant que « je » mais en tant que porte-parole et instrument du « nous » qu’il représente. L’élu, qui devrait être l’élite, cède trop souvent au culte de la personnalité, perd l’idéal au profit du prestige et de l’argent et, de dérive en dérive, on en arrive à éliminer ce – ou celui – qui gêne. Cela se fait (presque) tout seul, la pente est glissante et la tentation forte, à tous les niveaux.

Arille croyait redresser la barre – après avoir bien profité lui-même du système ! Il s’est fait proprement éliminer… Quant à trouver un coupable ou un commanditaire… la piste est nébuleuse, la justice, dernier rempart de la démocratie, aura du mal à s’y frayer un chemin.

A noter que cet ouvrage est la réédition de l’œuvre parue en 1996. Une œuvre qui méritait bien la réédition car, à travers l’anecdote, elle suscite la réflexion et est intéressante à plus d’un titre, et notamment au point de vue purement littéraire.

Isabelle Fable