Alexandra Bitouzet, La folie que c’est d’écrire, Cactus Inébranlable éditions, 2015

Roman, récit, réflexion sur l’écriture romanesque… plusieurs lectures peuvent être faites du texte d’Alexandra Bitouzet. Toute l’action est concentrée autour du personnage d’Esther, femme dans la pleine maturité, mariée, deux enfants, secrétaire médicale. Elle a tout pour être heureuse selon les codes traditionnels de la société. Et pourtant, Le jour où ma vie a basculé, raconte-t-elle, c’était en pleine nuit. Cette nuit-là, elle se met à écrire. Elle découvre que jusque là la plupart du temps, j’avais l’impression de n’exister nulle part, et que seule l’écriture peut la sauver de ce néant.

C’est le début d’une remise en question d’abord d’elle-même, de sa vie mais aussi de son entourage. Mari et parents vont évidemment en faire les frais. Le mari tout d’abord, plein de bons sentiments et de bonne volonté, est viscéralement incapable de comprendre « la folie » qui s’empare de sa compagne. En prenant des initiatives malencontreuses, il creuse le fossé qui les sépare. Les parents d’Esther sont ensuite mis en cause en raison de l’éducation prodiguée à leur fille. Le père est peint comme le type du macho. Il fait la loi chez lui, bat sa femme au point de provoquer une fausse couche. Esther est petite, mais elle s’en souviendra.

Plus tard, son propre fils sera à son tour un obstacle à sa liberté. Envoyé par son père pour l’accompagner à la maison de campagne, il est en fait chargé de la surveiller. C’est le cercle vicieux. Tout enferme Esther dans sa rage à l’encontre du mâle qui dispose des pleins pouvoirs pour la faire taire. Tout, excepté une femme, une psychiatre chez qui son mari l’envoie, croyant ainsi la faire déclarer folle.

Finalement, son roman, elle l’écrira à l’hôpital psychiatrique où elle séjournera après une nuit de folie au cours de laquelle elle brûle la femme qu’elle est pour devenir écrivain et échapper ainsi au rôle imposé par la société. Elle l’écrira sous la protection de Frédérique, la psychiatre.

Ce scénario-catastrophe n’est pas terminé pour autant. Le lecteur surfe sur la ligne de crête entre fiction et réalité. La question se pose donc : roman ou récit ? Les faits vécus par l’héroïne sont tellement en adéquation avec le combat féministe que l’on a l’intime conviction que l’auteur s’est largement inspiré de son propre vécu. L’auteur a l’âge de son héroïne, la même profession, elle est mariée et a deux enfants. Pour le reste, on est réduit à formuler des hypothèses.

Là où le romanesque l’emporte, c’est dans la révolte exprimée dans un projet d’écriture. Mais écrire pour dire quoi ? J’allais écrire sur les femmes. J’allais écrire pour justifier mon existence, expliquer le mal que cela fait d’être une femme ici et maintenant. J’étais Dieu, sa main sur du papier blanc, et je pouvais graver tout ce que je voulais. À partir de là, Alexandra Bitouzet hisse le récit au niveau du roman, superbement écrit, avec d’une part du sang et des larmes, et d’autre part des mots, des images, des métaphores, le tout emballé dans une écriture incisive et riche.

Un autre aspect du roman est la réflexion sur l’écriture. Certes l’idée d’inclure un roman dans le roman n’est pas neuve. D’autres auteurs y ont eu recours. Ici pourtant le procédé trouve sa justification, puisque c’est l’écriture qui apportera au personnage d’Esther sa raison de vivre : Ce roman, je le construisais pour les femmes. L’histoire, c’est celle commune à mon sexe. Une femme bâillonnée qui tente d’exister. Et plus loin : Je veux écrire. Écrire ou mourir.

                                                                                                                          Jacques Goyens