Alexandre Millon, Le périmètre de vie, récit, Murmure des Soirs, 132 pages, 15 euros

Thomas perd sa femme aimée, Rachel, dans un accident. C’est la vie.
« On finit par perdre l’autre ou à être perdu pour l’autre ».
C’est le récit de ce deuil que nous raconte ce livre ou plutôt, la vie de Thomas dans le deuil. Sa vie, désormais une ligne qui très lentement va entamer sa remontée.
La chute, d’abord, vertigineuse. Et aussi l’isolement, une précarité pour tout.
« Il y a eu le vin, les antidépresseurs, le reste, tout le reste. Même vautré au sol, Thomas continuait de tomber. Une sorte d’enthousiasme en somme ».
Thomas déménage, change ses habitudes, revoit son train de vie, fait le tri de ses connaissances, bref il décide de s’accrocher à ce qu’il lui reste de la vie.
« En escaladant le chagrin, par le versant de la vie (…) Au bout de ce boyau temporel en colimaçon, Thomas a entamé les démarches pour partir ».
C’est qu’étape après étape, un seuil franchi après l’autre, il faut réapprendre à vivre dans l’absence de l’autre qui fait désormais partie du paysage, s’accommoder d’un nouveau « périmètre de vie ».
« Je périple dans mon périmètre de vie. Peu à peu immergé par ce calme repu qu’on éprouve après une longue crise de larmes ».
Sans jamais oublier ni tenter d’oublier.
« Quand le deuil n’est plus un poids mort, un boulet à tirer, qu’il devient un muscle battant à l’intérieur de notre corps, peut-être abordons-nous ce seuil, où le corps de l’être aimé reste à demeure, en nous, en paix, aussi longtemps qu’on pourra s’en souvenir ».
Thomas nous entraîne dans un long murmure intérieur, poignant, au travers de réflexions de nature souvent philosophique sur une foule de sujets divers, tous ceux qui participent de la vie. L’importance des habitudes, la lenteur, la musique, l’écriture, la mer, les chats, les charmes poétiques de la myopie, les liens que nous entretenons avec certains lieux qui représentent bien plus que ce qu’ils sont, …
Mais la lente renaissance de Thomas passe surtout par ses rencontres avec les autres. L’amitié, les échanges, la réciprocité ont une importance primordiale. Hilde, Eleni et d’autres qu’il croise sur son chemin vont l’aider, chacun à leur manière, à se retransplanter dans la vie. Les autres sont des passerelles indispensables pour vivre, comme le rappelle d’ailleurs l’épigraphe signé du philosophe Martin Biber, « Toute vie véritable est rencontre ».
« Thomas se disperse moins qu’avant. L’intérêt mutuel, la réciprocité, sont des choses auxquelles on ne doit pas renoncer ».
L’on reconnaît d’emblée, dès les premières lignes, le style de l’auteur du beau roman « Mer calme à peu agitée » (paru aux éditions le Dilettante il y a quelques années). Des fulgurances de poésie que l’on aimerait avoir trouvées soi-même, alternent avec un langage direct qui nous rappelle que la vie, c’est aussi cela, « que dalle la vie ».
Un livre dense, qui touche à l’âme, dans lequel l’on sera souvent tenté de se replonger. Pour le plaisir des mots, et pour la profondeur qu’ils recouvrent.

Martine ROUHART