Amélie Dieudonné, La chute, cette belle envolée, roman, L’Harmattan.

Un roman en bonne partie autobiographique, au titre fort bien choisi. Je ne sais plus qui a dit que nos échecs nous en apprenaient plus que nos réussites: en effet, les réussites nous placent dans un état d’euphorie parfois dangereux, tandis que nos échecs nous obligent à réfléchir, à nous remettre en question, parfois même à nous déculpabiliser. A condition bien sûr d’arriver à les surmonter…et c’est ainsi que la chute peut, effectivement, devenir une belle envolée.

C’est ce qui arrive à l’héroïne de ce livre. Elia Dodadio, vingt-six ans, psychologue, diplômée depuis cinq mois, a enfin reçu une réponse favorable. Voilà, ce sera la Tanière, au nom bien choisi, un établissement qui accueille de jeunes enfants en détresse, un métier passionnant. Une véritable euphorie, qu’elle partage avec son amie Iris. Et puis….et puis, jouant sur le contraste, l’auteure nous transporte de 2015 à 2018, et la voilà en face de sa coach, Valentine:

Quels sont les signes sur lesquels elle s’arrête?

La ride qui me barre le front? Mes lèvres pincées, mes bras croisés sur ma poitrine chétive, mon regard hagard, les cinq kilos qu’il me manque et les os tranchants de mes épaules que l’on devine à travers toutes mes couches?

Que s’est-il donc passé? Son métier lui plaît, elle y réussit bien, le contact avec les enfants, les parents, ses collègues, est excellent. Elle en est consciente, fait preuve, d’ailleurs, d’une clairvoyance remarquable. Alors? Alors, ce travail qui était d’abord et avant tout un idéal de vie, auquel elle se donnait à fond, elle le sent peu à peu comme un sucre dans une tasse de café. Ce n’est plus un idéal, ni même une simple occupation, mais une simple marchandise sur le marché du travail, l’un des coûts dans la mécanique du rendement. On exige de plus en plus d’elle, on ne respecte pas son statut, elle est devenue un outil, une sorte d’objet. Nous vivons d’ailleurs tous, peu ou prou, dans le même train du profit dont la seule destination est le maximum, à moins qu’il ne déraille en route. Autrefois, il n’y a pas si longtemps, la dépression, cela n’arrivait qu’aux autres, aux faibles, aux mal-armés, aux victimes toutes désignées. A présent, le burn out, cela guette chacun d’entre nous, comme une sorte de routine triste et monotone. De plus, et c’est classique, vient s’y ajouter, pour elle, un accident survenu à son compagnon, Greg, qui va le handicaper plusieurs mois durant. Tout retombe sur elle, ils en viendront à se séparer…pas tour à fait, car il a laissé ses affaires chez elle…

Et voilà, non pas tout, mais les données du problème. Et, comme dans les contes de fée, il y aura ceux qui constituent un réel obstacle, son directeur, la jalousie de certains, le rejet par certains parents. Et puis ceux qui vont l’aider, sa soeur, son amie, sa coach, les membres du groupe de chant avec qui elle va faire une tournée triomphale. Et puis, Greg qu’elle va retrouver. Voilà, Blanche-Neige sort de son long sommeil, et commence une vie nouvelle…Faut-il une moralité à cette histoire, qui est celle de beaucoup? Oserai-je dire qu’il n’y a pas de problèmes, mais seulement des solutions? Et que l’homme ou la femme solitaires ne sont jamais seuls, vraiment seuls?

Et puis, il y a cette maîtrise de la langue, ce style direct, haché parfois, qui traduit fort bien les angoisses, les pleurs, les vomissements (les solutions ne viennent jamais sans peine), cette langue très belle dans sa spontanéité, et tout l’art , un art de tissage, avec lequel l’intrigue est menée. Oui, le titre est bien juste: une belle envolée. Je vous en donne un avant-goût:

Je me frotte le visage, soupire bruyamment, tente d’évacuer la pagaille de sentiments qui me traversent. Je reste immobile quelques minutes, fatiguée, le regard absent. Et puis soudain, dans un élan, j’allume mon ordinateur, ouvre un nouveau document Word et me mets à écrire. D’une traite. (…)

J’ai quitté le carcan qui m’enserrait la gorge jusqu’à l’étouffement. Le carcan qui me privait d’espace. Le carcan qui me privait de m’exprimer, d’être moi-même. Se priver de cet espace pour laisser profiter les autres. Plus jamais je n’accepterai cet enfermement. Je serai moi-même, toujours. Je ferai ce qui me plaît jusqu’à ce que cela plaise aux autres. Et non plus l’inverse.

Joseph Bodson