André Henin, Lès têres dau Bon Diè, réédition accompagnée d’une traduction par Bernard Louis, Société de langue et littérature wallonnes, place du XX aoüt 7, 4000 Liège, 2024, 14 €.
Un roman, avec tout de même un encadrement autobiographique : en effet, l’histoire commence avec le retour au Séminaire de Floreffe, après les vacances, de l’abbé Mathieu Diant. Retour, mais aussi début d’un adieu, car il a demandé à l’évêché de pouvoir quitter sa fonction de professeur pour devenir curé de village.
On l’aura deviné, l’abbé Diant, c’est en fait l’abbé Henin, devenu doyen de Gembloux après de longues années à Floreffe en tant que professeur de poésie. Je fus in illo tempore (restons dans le vague) son élève, et c’est lui qui m’a donné, ainsi qu’à beaucoup d’autres, l’amour de la poésie et du rêve, et nous a ouvert le goût du merveilleux. Je l’entends encore, lors d’une visite de l’inspecteur, le chanoine Dresse, nous lire El Desdichado de Nerval, avec toute sa ferveur, le chanoine enchaînant, en roulant les « r » comme un vrai borain Je suis le ténébrrrreux, le veuf l’inconsolé …ou bien encore lorsqu’il nous lisait, en fin de cours, un passage du Grand Meaulnes…pour un temps, le bois du Nangot prenait des airs de Sologne…
Mais bientôt, le livre bifurque, et un nouveau personnage entre en scène, l’abbé Crahay, un vrai Liégeois celui-là. Et c’est au fil des conversations entre les deux prêtres que vont être envisagés les grands problèmes, les grands choix entre la prêtrise et la laïcité, l’enseignement et la paroisse. Paul Crahay, pour sa part, porte l’amertume de n’avoir pu faire des études universitaires…Il a, disons, des idées « avancées » et prend souvent le parti des élèves difficiles, n’hésitant pas à critiquer les autorités. Après une première demande repoussée, l’évêque finira par l’autoriser à entreprendre à Louvain les études auxquelles il aspirait…mais qui finiront par mettre un terme à sa vocation.
En même temps, court tout au long du récit l’évocation du village de Han-sur-Lesse, où était né l’abbé Diant, et où il vient parfois se ressourcer. Et cela nous vaut quelques-unes des plus belles pages du livre. Heureux les fortunatos nimium agricolas (pour autant qu’il en reste) qui se voient ainsi célébrés !
Je ne vais pas vous dévoiler toute l’histoire, je vous dirai seulement qu’elle ramènera nos héros à Han-sur-Lesse, de façon inattendue. Entretemps auront été débattues des questions cruciales pour les prêtres, dans notre société d’aujourd’hui plus sans doute que par le passé. Plus douloureuses aussi. Celle notamment de la solitude, que l’on aborde trop rarement. Je vous dirai encore que l’abbé Henin a trouvé à Gembloux un accueil chaleureux, et qu’il s’est mis à écrire e n wallon, au pays de Lucien Somme, et qu’il y a trouvé un accueil chaleureux.
Mais je vous citerai plutôt un passage où ressort ce taedium vitae dont nous parlions tout à l’heure, cette nostalgie qui nous ramène, que nous le voulions ou non, aux sources de notre enfance (pp.58-59) :
Dji vôro tchantè l’anoyeûse tchanson do timps qu’è va come one pougnîye d i sauvlon inte nos deugts. Dj’ai filè lès djoûs èt les-ans sins vèy qui l’ moncé discréchot. Dj’ai lèyî chapè lès samwin.nes èt rovyi do vikè. Pokwè faut-i qui l’ solé s’coutche po bin sèpe qui l’ djournéye èst iute èt qu’on ‘nn’a nin profitè ? Poqwè faut-i qu’dj’è vaye po sinte qui dj’vos vèyo voltî èt qu’il èst trop taurd po vos l’dîre ?
Je voudrais chanter la chanson du temps qui s’en va comme une poignée de sable entre nos doigts. J’ai filé les jours et les années sans voir que le tas diminuait. J’ai laissé échapper les semaines et j’ai oublié de vivre. Pourquoi faut-il que le soleil se couche pour bien réaliser que la journée est finie et qu’on n’en a pas profité ? Pourquoi faut-il que je m’en aille pour sentir que je vous aimais et qu’il est trop tard pour vous le dire ? .Je n’ai pas besoin de vous dire, je crois que la traduction de Bernard Louis, d’après le wallon de Han, est au-dessus de tout soupçon.
Joseph Bodson