ma mèreAndré-Joseph Dubois, Ma Mère, par exemple, Neufchâteau, Weyrich, 2014, coll. Plumes du Coq, 138 p.

Comme semble l’indiquer le titre, il s’agit d’un portrait individuel qui s’appliquerait aisément à une génération de femmes, à une catégorie sociale. Ce livre, qui n’est « ni biographie, ni fiction. Juste de la littérature », tient du document sociologique autant que d’un hommage teinté d’une sorte d’objectivité non dépourvue de tendresse.

C’est d’abord, vécue de l’intérieur, l’ascension sociale d’une famille prolétaire en passe de se retrouver dans la classe bourgeoise moyenne. C’est une histoire typique du début des ‘Trente Glorieuses’, moment privilégié de l’après-guerre où  tout semblait possible, où la vraie naissance de la société de consommation accréditait l’idée que posséder était gage de bien-être et même de bonheur.

La péripétie n’est pas sans contradictions pour les grands-parents et leurs descendants car, finalement, « nous vivions comme des pauvres dans cette ancienne demeure de riches » disent-ils. En tout cela, la condition de la femme n’est guère enviable. Et c’est surtout cet aspect que Dubois décrit à travers le personnage de sa mère.

C’est la situation des « aspirations insatisfaites et des désirs ravalés », celle d’une femme qui ne se trouve pas belle tout en étant coquette. D’une femme affligée de boiterie et phobique des maladies, « entravée dans le quotidien » car éduquée dans le sens d’un devoir voué aux soucis et à la fatalité de la souffrance plutôt qu’orientée vers l’optique de trouver du plaisir à vivre. D’une femme engluée dans les stéréotypes politico-culturels du passé. Car, « Dans le monde qu’on lui proposait, surdéterminé, hiérarchisé, où circonstances, nature, code social régnaient en maîtres, la liberté résidait seulement dans le degré d’acceptation face à une situation imposée ».

Si elle trouve quelque agrément dans sa pratique du piano, c’est que cela lui permet un soupçon d’indépendance, sans plus. La lecture, le cinéma, la radio « n’ont jamais eu la moindre influence sur sa représentation de la vie et de son temps » dans la mesure où ils étaient considérés comme passe-temps et non culture.

Dubois déroule à travers ses phrases, une destinée qui a accepté « les règles du milieu social, les attentes tacites du quartier, le besoin de reconnaissance de mes deux grands–pères ». Il demeure à l’orée des zones d’ombre de la sexualité, de la foi religieuse, des sentiments éprouvés dont il ne fallait absolument pas parler, tout en sachant que « le silence après tout est un témoignage en creux ». Il trace un portrait élaboré, une manière de traduire l’affrontement qui eut lieu voici trente ou quarante ans entre le monde ancien et la modernité un peu désordonnée, un peu contrariée de sa propre jeunesse.

Michel Voiturier