André Stas et Eric Dejaeger ,   Limitation de la poésie Cours clastique en préparation au bas à ordures, Cactrus inébranlable éditions, automne 2020                                                                        Cactus Inébranlable éditions    (automne 2020 ,17 euros)

A lire cette « limitation de la poésie », certains adoreront et d’autres pas du tout. Tout dépend non pas du degré d’acceptation du genre, mais du degré d’adaptation du lecteur à une certaine créativité et, d’autre part, à la dose de ce genre de fausse provocation qu’il est prêt à accepter.

J’ajouterai que les dadaïstes et autres réels ou supposés surréalistes sont déjà passés par là, suscitant à l’époque des réactions en sens divers.

Ce qui parait neuf, c’est tout d’abord cet étrange travail non seulement commun mais très réfléchi ensemble pendant certainement un bon moment, les deux compères n’étant pas, à priori, des motivés du vers régulier mené ici avec parfois un certain brio.

Qui connait leur expérience conviendra qu’ils n’en sont pas à leur coup d’essai.

Maturité oblige, les potaches façon « littérature » reprennent en duo, pour chaque texte, un quatrain (ou autre) présumé célèbre pour le torcher autrement, ce qui donne, par exemple :

 

VILLON REVISITED

00

Frères humains qui après nous vivez

N’ayez les cœurs contre nous endurcis

Car, si pitié de nous pauvres avez

Dieu en aura plus tôt de vous mercis

01

Voici mes mains, vous tous qui arrivez,

Dont la moiteur me cause du souci.

Car, si vos anus il faut excaver,

Ca fera des bobos, des poils roussis.

… et suivent ainsi 9 autres quatrains du même genre…

 

Si on s’en réfère aux textes « revisited » (revisités cela ferait sans doute trop sérieux…), les compères se servent du vers classique demandant un travail assez considérable pour « revisiter » le poète ou l’artiste placé sous leur guillotine à mots.

Certains lecteurs, dont je suis, y verront en réalité la marque d’un profond respect pour les « victimes » choisies par ailleurs non consentantes…

En fait ou pourrait presque admirer et détester en même temps et je ne doute à aucun moment de l’intention de nos deux amuseurs qui, comme ils font bien les choses, s’en prennent aussi à d’autres amuseurs ou provocateurs :

 

DUTRONC REVISITED

00

Je suis l’dauphin d’la place Dauphine

Et la place Blanche a mauvaise mine

Les ca-moins sont pleins de lait

Les balayeurs sont pleins d’balais

01

Je suis l’Cubain sans concubine

Et le merlan dans sa cabine

Je suis grognon, je lâch’ des pets

Avec ardeur sur mon bidet » ?

 

Chacun jugera suivant ses goûts personnels. L’ensemble a un côté estudiantin, genre intello averti ayant faussement muri trop vite…

Fait avec sérieux, l’ouvrage montre qu’on peut rire de tout mais j’y vois davantage un profond attachement pour les poètes, les artistes et les chansonniers que le contraire.

Entre Marot et Sardou il y a un monde et pourtant ce fut (c’est toujours le cas pour Sardou) le même monde pour les deux à vouloir créer, s’exprimer et dénoncer sans censure.

Notre duo nous fait ainsi découvrir certains auteurs peu ou plus connus comme Chênedollé (1764- 1833) pour qui la note, en fin de page ( c’est aussi le cas pour certains autres) ajoute une touche entièrement décalée par rapport à l’usage détourné fait de ses mots, ce qui accentue encore davantage l’esprit même de l’idée « provocatrice » du projet, le propos explicatif rappelant volontairement ou non les notes en bas de page d’une littérature des plus sérieuses ( cf dans certains ouvrages publiés dans « La Pléiade »)

Il y a des périodes où la plus belle liberté d’expression est à rappeler et l’actualité récente leur donne raison.

Parlent là de vrais poètes, de vrais écrivains. Pour eux, cette dernière phrase sonne comme une provocation…Et…ils adorent ça !

Patrick Devaux