Anne-Françoise Schmitz, Départ.  Les grandes guerres. Sœurs. Temps de midi d’un fonctionnaire. Testament. Nouvelles-minutes, éd. Audace.

Une véritable réussite. Une découverte. Pierre Bragard a eu l’excellente idée de faire, de chacune de ces nouvelles, un fascicule qui est comme une sorte de tiré à part. Elles le méritaient, chacune ayant sa physionomie bien à elle, à ne pas mélanger.

Une belle réussite, parce qu’il n’est pas facile de faire court. C’est vite trop long, ou trop court. Non, juste le temps qu’il faut, comme pour les œufs pochés. Mais ces comparaisons culinaires ont toujours quelque chose d’un peu réducteur. Je ne vais pas vous raconter les intrigues, les histoires: il n’y a pas d’histoires, seulement des nouvelles-minutes. Je préfère vous faire partager la découverte, subtile, évanescente, comme une fumée dans le vent, qui vous pique un peu les yeux, et revient dans le souvenir, un peu de blanc sur le bleu. Vous n’aurez qu’à lire par-dessus mon épaule:

J’appris des années plus tard que l’aînée n’avait pas survécu au chagrin et au coup de son père. On l’avait retrouvée morte dans une chambrette du côté de la Mer du Nord. (Sœurs)

Pas d’histoire, je vous l’ai dit: plutôt une atmosphère qui se dégage du récit lui-même, en sa concision, en chacun de ces mots – pas un de trop – vite partis, au souvenir tôt revenu. Il y a une sorte de sorcellerie dans ces feux de fanes.

Ils n’ont plus rien dit et se sont endormis

Et puis la vie les a rattrapés. Ils n’ont plus pu se voir.

Un matin laiteux, je l’ai entendu descendre les escaliers. Il a pris la voiture au garage, il a roulé jusqu’aux falaises.

Je l’ai suivi dans le brouillard et les pluies de mon village.

Il s’est jeté dans les vagues sauvages et carnivores de la mer.

J’ai tout vu. Je n’ai jamais rien dit. (Départ)

Non, pas d’histoires, je vous l’ai dit. Seulement des choses qui arrivent aux gens, comme ça. Etrangement. Comme si elles ne leur appartenaient pas. Peut-être sommes-nous les enfants du vent.

Joseph Bodson