Annie Préaux, Pierres de vie, poèmes, Éditions Le Coudrier, illustrations de Christian Claus

Avec ses galets de mots, Annie Préaux a cette brillante intention d’écrouir l’éternité. L’instant, saisi dans la particule ultime de la pierre est saisi en profondeur, la solidité de celle-ci devenant une sorte de trou noir avaleur de mots, univers tactile jusqu’à ce toucher très précis de ce regard qui lui est propre à « Se sentir invitée/ Au cœur de la matière/ Blanche/ Marbre lissé/ Par celui/ Qui refuse/ La perfection/ Tout en s’y attachant/ Comme à un rêve/ Premier ».

Vitale et vivante, la pérennité semble s’inverser à donner vie à l’élément solide vainqueur mais protecteur de l’instant biologique tel cet « Insecte perdu/ Dans la chair vive/ D’une pierre fossile/ Egaré à l’ambre d’or/ Des millénaires », l’auteur ayant cette audace de faire papier et encre son profond ressenti minéral. C’est que la pierre a une sorte de diversité culturelle innée à se faire modeste grain de sable ou œuvre humaine achevée, mise à la disposition du temps.

Observatrice à « Trouver/ Ce faux intrus incrusté/ Croustillant/ Dans sa prison grise/ Silencieux seul/ Et sûr de pincer/ Jusqu’au cri/ La peau du désir », elle comprend le geste de l’artiste aux pierres polies, leur réciprocité se faisant jouissance commune, « Promesse enivrée/ D’une caresse de soie/ La veine d’un cou nu/ Un sein/ Peau à peau ».

Certains passages ont force de haïkus impliquant vive émotion humaine : « La pierre a hurlé dans la lumière/ Les perles d’eau/ La déchirure », la sensation poétique se faisant poème dans le poème tel l’acte du tailleur-sculpteur se fait intrusion dans la matière à l’état brut.

On aura, suivant le moment, une sorte de jouissance exploratoire ou au contraire un vif ressenti de blessure. Cette approche, lumineuse, de la matière correspond assez bien à l’approche shintoïste, tel ce « froissement de papier/ Tout près/ Outil de silence/ Le chant d’un gong peut-être/ Son rayonnement ».

En effet, minéral et biologique s’accomplissent en dualité dans une sorte d’évolution presque animiste, originelle et fondatrice de civilisation.

Il y a un prérequis de Stonehenge dans cette audace à circonscrire l’improbable de l’être tenaillé entre fragilité et solidité incantatoire dans une quête qu’on sait infinie à vouloir chercher trace de vide au cœur du plein à moins que ce ne soit le contraire car « Là au milieu/ De la pierre noire/ Elle était là/ Inconnue ignorée/ Devenue si vite/ Absence/ Blanche/ Reflet troué/ Du manque ».

La pierre se fait souffrance humaine évoquant volontairement ou non des atrocités quasi historiques : « On a tranché/ Ma gorge/ Ces mots/ Qu’il fallait/ Deviner/ Sont perdus/ Ma tête ne tient/ Qu’à un fil/ Immobile/ Mon socle de pierre/ Enraciné/ N’aura pas/ D’autre issue/ Je crie en silence/ En solitude/ Statue de sel/ Eberluée ».

L’auteure va jusqu’à se souhaiter élément minéral à vouloir en percer le secret : « Il faudrait me briser/ Pour voir ma vérité/ De mille et un cailloux » dit-elle.

Pierre et chair sont intimement liées à supporter ensemble le poids de l’inexorable : le temps, le vide arrachés à « l’infini vibrant ».

Patrick Devaux