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Antoine Wauters, Nos Mères, Lagrasse, Verdier, 2014, 148 p.

Le nouveau roman d’Antoine Wauters est bien le prolongement de « Césarine de nuit » qui reçut, entre autres, le prix triennal de la ville de Tournai. Le ton employé poursuit sa quête d’une écriture singulière. L’auteur, « par la magie des mots », suit et invente l’histoire de Jean, orphelin de guerre auprès d’une mère envahissante au Liban, enfant adopté de l’asthénique Sophie en France.

Il trace le portrait des mères qui furent celles de son personnage, développant en filigrane les thématiques de l’exil, de la famille, de la solitude existentielle, de l’absence de la figure essentielle du père disparu, du langage. Mais c’est ce dernier qui, une fois encore, forme la véritable trame du livre. La parole écrite est celle qui se cherche sans cesse, qui est consubstantielle à l’être, à son expression, à sa façon de la pratiquer afin de se prouver qu’on est en vie : car « écrire est égal à survivre ». Mieux encore, « dire c’est agir, c’est transformer le monde, et le faire c’est le prouver ».

À travers des mots alternativement de vérité et de mensonge, des mots qui « quand ils ne sont pas dits nous tuent à petit feu », le langage s’essaie à définir l’humain dans sa complexité, celle-là même qui atteste qu’un individu est composé de plusieurs facettes, de plusieurs manières de se comporter et de percevoir. Celle qui pratique plusieurs approches de la réalité tout en se nourrissant des apports de l’imaginaire.

L’image maternelle est plurielle, y compris dans le nombre grammatical appliqué au substantif et aux pronoms. Elle devient en effet elles comme mère devient mères. Du coup, l’image du narrateur, celle d’un enfant prompt à se rebiffer en vue de briser sa solitude et de se réaliser, devient aussi transformée, le nous prenant la place du je.

La narration oscille en permanence entre la douce tendresse et l’invasion émotionnelle, le besoin d’amour et celui de liberté, la tentation d’intervention sur autrui et la nécessaire autonomie. Sur fond de violence guerrière, le vécu et le fantasmé s’entrelacent. Le discours direct des protagonistes apparaît entre les descriptions, les inventaires, les portraits, les pensées, les rêveries, les perceptions sensorielles et même quelques collages intertextuels.

Comme dans le livre précédent, le jeu avec les polices (italiques, capitales…) et celui avec les pronoms (du ‘je’ au ‘nous’, du ‘elle’ ou ‘il’ au ‘vous’ ou au ‘tu’, tous évoqués parfois par le ‘on’) tissent un subtil réseau permettant au lecteur de glisser d’un registre d’expression à un autre, d’un personnage au suivant, d’une certitude à un doute. Ainsi rencontrera-t-il les mères, le père, le compagnon, le grand-père, les enfants, l’amoureuse, l’enseignant, tous ceux que croise Jean dans un univers de fin du monde, de fin d’un monde, celui de l’enfance. Une enfance dont les dernières pages nous amènent à un moment particulièrement poignant.

Michel Voiturier