Armel Job, La disparue de l’île Monsin, roman, Robert Laffont.

Armel Job possède à un degré éminent les qualités qui font un bon, et même un excellent romancier, et l’on ne saurait trop recommander aux débutants dans cet art plus difficile que l’on ne croit de lire ses romans avec beaucoup d’attention. De plus, La disparue de l’île Monsin me paraît l’une de ses plus belles réussites.

Tout d’abord, un style simple, sans fioritures, qui ne s’embarrasse d’aucune théorie, qui ne tire pas le lecteur par la manche pour le planter là devant ses plus belles figures de style.. Il est des gens qui s’écoutent parler – ceux-là ont vite fait d’ennuyer leur public. Il est, de même, des écrivains qui se regardent écrire, et le résultat, là non plus, n’est guère probant.. Ici, dans cette Disparue, prenez la dernière phrase du roman. En fait, la disparue, profondément marquée par la noyade accidentelle de deux jeunes filles près de l’île Monsin, et par un accident semblable survenu dans sa propre vie, décidera d’abord de jeter dans la Meuse un bouquet de roses qu’elle a reçu,avant de s’y jeter elle-même. Cependant, hasard ou circonstances?, c’est dans la Moselle à Trêves que l’on retrouvera son corps.. Exactement comme cette nymphe de l’Antiquité qui se noiera dans un fleuve du Péloponnèse pour réapparaître en Sicile sous forme d’une fontaine. Et – de nouveau, hasard ou circonstances – je vous cite les deux derniers paragraphes du livre, qui brillent par leur simplicité: Il s’agit du dialogue téléphonique entre le policier chargé de l’enquête et  son chef:

On ne sait pas. A première vue, elle n’a laissé aucun message. Elle était mal dans sa peau. Cette disparition, déjà…De toute façon, est-ce qu’on peut jamais comprendre ce qui traverse la tête de ces malheureux, hein? Même notre tête à nous bien souvent…Lipsky?

Oui, oui, monsieut..

Tout de même, un détail peut-être. Elle avait des pétales de rose collés à ses cheveux et sur ses vêtements.

Voilà, Rien de bien spécial. Juste trois petits points et deux points d’interrogation, un vrai travail de dentellière.

Par contre, l’intrigue, elle, n’est pas des plus simples. Je ne vais pas vous la dévoiler, ce serait vous gâcher le plaisir. Mais tout s’emboîte merveilleusement, comme dans les bons polars. A condition d’admettre une donnée que beaucoup récuseront: est-ce qu’un accordeur de pianos peut passer une nuit dans le lit d’une auberge liégeoise, aux côtés d’une jeune fille fort belle, sans seulement la toucher du bout du petit doigt? Mais parler, parler, écouter…être là.

Mais il ne suffit pas qu’il y ait là hasard et circonstances. Il faut aussi des êtres humains, des caractères, bien différenciés, véridiques. Bien différenciés, qui ont une histoire derrière eux, une bonne part de vie, pas du n’importe qui – n’importe quoi. Il faut aussi que l’auteur ait une certaine philosophie de la vie, une certaine finesse de perception, qu’il sache en premier lieu sortir de soi. Un profond connaisseur du coeur humain, comme dit Giono dans Un roi sans divertissement. Pour donner vie à des personnages qui soient des êtres humains, vraiment humains, il faut un auteur qui en soit un lui-même, et ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

J’ai cité Giono, avec toute sa finesse paysanne. Mais il y a chez Armel Job un côté quasi britannique, dans sa retenue, dans son humour, mi figue mi raisin. Et là, il me fait parfois songer à Graham Greene, dont la philosophie est proche de la sienne. Oui, moi aussi, si j’étais Dieu, j’aurais pitié du coeur des hommes..

Joseph Bodson