Arnaud Delcorte, De Kigali à Bruxelles, roman, éd. Ruptures, 2015, 172 pages.

On connaît le poète, né à Beaumont (Hainaut) en 1970, professeur de physique par ailleurs. Plusieurs recueils ont mis en évidence un talent certain pour évoquer le corps, la sensualité, dans des poèmes de voyages intérieurs et autres. « ô », « Ogo », « Eden », « Méridiennes » relatent la vie quotidienne d’un rêveur d’espaces, dont les coeurs, corps ne sont jamais absents.

Le voilà, désormais, aux prises avec un genre nouveau, un premier roman.

Bref roman que ce « Piégeur de jours » en 38 chapitres pour suivre au plus près le périple d’un Rwandais, devenu par la force terrible des choses, migrant, sans domicile fixe, égaré un beau jour, après avoir fui, vécu à Alger, ailleurs, dans un parc de Buxelles, entre reliefs des repas des autres et crottes canines.

On retrouve « le goût de l’azur » et des ailleurs dans cette brève narration (152 pages), qui suit, avec un sens de l’intime et du physique, son personnage de jeune Kigalais perdu dans les affres des départs, des accueils, du monde.

On sent, entre le périple de ce jeune, qui a connu 1994, qui débarque à Buxelles un jour de 2004, le poids du réel. Le roman rend bien compte de cette réalité. Dès les premières pages et l’installation du SDF dans un lieu improbable, sourd un sentiment d’accroche au monde vécu. On partage le devenir de ce antihéros, déplacé malgré lui, en quête d’amour, de terre à habiter, de souffle à conserver en dépit de tout: des violences subies (un oncle pédophile), de la faim consentie, des trajets, des endroits « où se poser », entre plaisirs volés et couches à découvrir dans l’infortune du temps.

Le parcours du jeune reçoit l’éclairage en contrepoint des aventures de Rutegaminsi, personnage de conte traditionnel, initiatique comme l’est au fond ce roman premier de Delcorte, revenir aux sources de l’être qui naît, qui un jour est contraint de partir pour se retrouver…

Le style, en petites phrases très visuelles, allège l’aspect dramatique de l’histoire, et la sensualité des images prouve à l’envi que le poète n’est pas mort au plein coeur de ce roman : il vit dans le contact privilégié avec les mots, ceux des corps approchés, des sensations premières : froid, faim, solitude, désir. En quoi, ce « Piégeur de jours » est une réussite et une invite aussi à revenir aux autres livres de l’auteur, ses beaux poèmes qui prennent le temps – malgré leur brièveté – de s’attacher à l’autre pour en révéler le visage, la beauté.

Philippe Leuckx

Arnaud Delcorte, Le piégeur de jours, Ed. Ruptures, 2015, 152p. (Haïti, l’édition comporte quelques coquilles)