Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes, photographies de Laurence Toussaint (2021, Editions Signum)

Rappelons d’emblée que Béatrice Libert vient de recevoir pour ce bel ouvrage, le Prix du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dédié cette année à la poésie.
Le recueil, composé durant la période de confinement de 2020, est une sorte de conversation à distance entre la poétesse belge et la photographe française Laurence Toussaint. Il nous est indiqué que les photos ont toujours précédé le texte, suggéré les mots de la poète.
Il ne s’agit pas seulement d’un dialogue entre écrivain et artiste, mais aussi entre chacune d’elles et la nature. Les photographies, davantage encore les textes, traduisent un désir de repli vers la nature tranquille, une solitude heureuse, un besoin de méditation, une intériorisation de ces images d’étangs, de berges et de reflets ; un dialogue entre le dehors et le dedans.

On ne le savait pas
On ne s’en doutait pas

Mais les arbres se parlent
Échangent leurs pensées

Leurs émotions et leurs désirs
On les voit parfois jeter leurs regrets

Dans le courant qui les emporte
Lestés d’une étrange gravité

On lit la contemplation, les rêveries infinies, l’écoute attentive, profonde et prolongée du monde sensible, de l’eau et des arbres (« On jette l’ancre puis on écoute/Les voix qui nous traversent ») et aussi, le doute et les éternels questionnements.

Quel trouble soudain nous envahit ?
On dirait que tout tremble

Est-ce un poème qui s’en vient
Un petit dieu une espérance ?

Entre la réalité et son reflet
Quelque chose a glissé

Dont nous ne savons rien mais
Dont nous devinons la pensive présence

On dit parfois qu’à associer textes et images, l’on risque de brider l’imaginaire. Ce n’est pas le cas lorsqu’une porte reste ouverte au mystère, à la profondeur de lumière qui touche chacun différemment.
Ensuite, faire parler entre elles des formes d’art différentes est une expérience intime, celle d’une complicité et d’un véritable travail avec « l’autre ». L’un dit ce que l’autre croyait taire, le dit autrement, ricoche en ajoutant l’insoupçonné. A la manière d’une sonate, texte et image se font écho sans redondance, en accord ou en contrepoint, un peu comme si les deux jouaient une partition. Comme une rêverie dilatée à l’infini.

Voilà un recueil que l’on aura plaisir à rouvrir souvent, harmonieux tant par les images où dominent les mille nuances de vert, que par les textes à la structure régulière comme l’eau calme d’un étang, comprenant chaque fois 4 séries de deux vers.

Martine Rouhart