Bleu de femme poèmes de Nadine Simal éditions Le Coudrier 2021, 18 euros
préface de JM Aubevert, compositions de Joëlle Aubevert

C’est un chemin bleu, peut-être en quête de ciel, qu’évoque l’auteure à travers souvenirs précis, vivants, colorés et présentés de façon originale dans le sens premier du terme pour ce dernier adjectif ramenant à l’origine, presqu’à une fécondation permanente qui n’aurait d’éclosion qu’un aboutissement devenu inaccessible telle une « Femme d’occluse destinée/ au bleu brodé de madone : toujours à ravauder l’invisible beauté ». C’est qu’il y a de la vraie permanence dans le ton tellement particulier de l’auteure. On devine la protagoniste évoquée dans une sorte de jardin secret qui lui est propre. Evoquée telle une prêtresse antique, elle chemine « Femme/ au prénom rare d’ancienne Egypte/ fleurant la myrte et l’oranger/ souriant (elle souriait) à la manière des statues ».
L’imparfait utilisé est prenant et révélateur d’une observation probablement « in situ » dans le souvenir. On songe à un jardin de délices où tout serait accessible à condition de faire une demande avec le ton requis car le langage est loin d’être galvaudé.
Parfois une sorte d’abandon parcourt le texte, les mots n’étant sans doute pas suffisants pour exprimer toute cette double retenue de celle qui parle et celle qui, peut-être, pourrait écouter tant elle parait présente. Il y a presque inversion des rôles.
L’atmosphère me ferait penser à Virgile pour l’ambiance générale avec en outre la tactique des corps en émotivité : « Seule la femme de laine pouvait réchauffer/ l’enfant forain dépenaillé/ qui revenait toujours de nulle part/ A hauteur de son ventre pulpeux je retrouvais/ le paradis blanc ».
On retrouve, à travers les mots, une douce complicité y compris lors des moments plus difficiles : « Elle me façonna onctueuse et fleurie/ planta la sainte ivresse en mon corps migratoire/ Le velours de la vie doucement cicatrisait/ les cœurs troués de tant de plaies anciennes/ Nous fermâmes les mêmes blessures/mon âme feuilleta son âme/ et mon geste devint pareil au sien ». Il y a presque de la gémellité dans toute cette vie commune rendant cette forte impression d’effet miroir.
Si l’auteure vient de « brûler la cabane aux oiseaux », leur vol n’en est pas perdu pour autant.
Le mot « bleu » évoque parfois une blessure et peut rappeler la meurtrissure. Ici, absolument pas. Il s’agit d’un bleu vivant, intense à la « Van Gogh », un bleu qui arrache, qui persiste, insiste jusqu’à ce que la beauté tout entière soit prise en compte. Les compositions de Joëlle Aubevert qui accompagnent le texte en donnent une saisissante expression caractérisée par une touche fixant la pensée de l’auteure avec (ou dans) la couleur. La pensée prise sur le vif, en quelque sorte !
Cette sorte de jusqu’auboutisme dans l’accompagnement est particulièrement émouvant : « Entre les fils barbelés de son corps/ je me suis faufilée/apportant l’or fin du fil qui la délivrera ».
« Chassée d’elle-même (j’étais chassée de moi-même), la poète semble avoir intégré le manque comme on quitte un corps pour le retrouver par la suite d’une autre façon avec ce bleu têtu et convaincant qui lui est propre à persévérer : « Hors de toi je crache/mes voyages mes amours mes vies ». Ceci, peut-être aussi, pour retrouver une autre elle-même.

Patrick Devaux