Bruno Delmotte, Caroline Léger, Hugues Robaye, JF Van Haelmeersch, Nos racines / Lés arpes d’el drèfe, Phare papier, 7880 Flobecq, 2019, 68 pp, 10 €.

Je m’en voudrais de laisser passer ce beau « travail », paru en 2019 déjà, sans vous en avoir parlé.
Un beau travail collectif, réalisé à l’occasion d’une exposition à la Chapelle Notre-Dame de Grâce à Tournai, « Art dans la ville », suite à une menace d’abattage qui pesait sur les arbres de la Drève de mer à Tournai. De très belles photos de Caroline Léger accompagnent le texte de Hugues Robaye, tandis que les poèmes de Bruno Delmotte – sur lesquels nous nous attarderons surtout – vont de pair avec les tissus imprimés de Bruno Van Haelmeersch.
Un arbre, c’est tout un monde : notre monde quotidien, mais aussi celui des animaux qui, tout auprès des arbres, nous environnent – et, avec eux, courent le risque de disparaître. Bruno Delmotte a choisi de les saisir in vivo, avec les traits propres au caractère de chacun. Il le fait avec beaucoup de vivacité, une vérité parfois criante, et un humour un peu gouailleur, dans une langue verte de sève et de fraîcheur. Et le picard tournaisien, qu’il manie avec une véritable maëstria, s’y prête admirablement. Ecoutez-le plutôt (les traductions en français sont de lui) :
Èl zèbre : tièsque ch’ést de ç’ zèbre ? / i pourmène su l’ drèfe // in zèbre qui fait à s’ mote / ch’èst la mitan d’ sés norritures éné ? // i s’arrête au bord du qu’min / et i-attind avec lés eautes gins / padvant lés lines blanques / que l’feu i soiche vert. Qui c’est ce zèbre / qui cavale sur la drève ? // un zèbre qui n’en fait qu’à sa tête/ c’est déjà la moitié de sa pitance / non ? // il s’arrête au bord de la voie / et il attend sagement / devant les lignes blanches / que le feu passe au vert.
El marie-marolle : i d’a qu’ ch’ést toudi pou daller / mais ceule-lale i-orvient / ech’ n’ést pas ène areondièle / ch’ést ène marie-maroile / pou perseonne savoir qu’i-ést orvénue / i-a muché s’ rouche croate / t’ direos tout in du cabarét / qui rint quèrvé / i-arrête après l’ printemps / qu’ lés vièlés choques is ravèrdittent / et que s’ gorche i r’vient rouche. Le rouge-gorge : il y en a qui ne pensent qu’à partir / celui-là revient / ce n’est pas une hirondelle / c’est un rouge-gorge / pour rentrer discrètement / il a ôté sa cravate rouge / on dirait un poète / qui rentre ivre du cabaret / il attend le printemps / que les vieille souches reverdissent / et que sa gorge à nouveau rougisse.
El palvol : qu’i fait quéaud / el palvol i s’ rappelle / raminvrances d’onène / i-éteot béleot comme ène pétite liche / mais tout n’ même / qu’i-aveot l’air biête / quand i n’aveot pas d’ailes. Le papillon : quelle chaleur / le papillon se rappelle / souvenirs de chenilles / il était beau comme une petite chienne / mais tout de même / qu’il avait l’air bête / quand il n’avait pas d’ailes.
Des fables, oui, bien sûr, mais sans morale : celles d’un observateur attentif et fraternel ; il n’y a qu’un pas, ici, de la gouaille à la tendresse, et le picard coule de bonne source. Il est vrai que Bruno Delmotte accomplit un travail remarquable pour initier au picard les petits en fants du Tournaisis. Cela lui vaut de belles réussites, pour lesquelles il n’y a pas de secret : l’esprit d’enfance, rare chez les adultes, et l’amour de sa langue.
Jean-François Van Haelmeersch possède, quant à lui, un esprit plein d’invention, comme le souligne Hugues Robaye, p.54 : Nos sensibilités : de mystérieuses plaques sensibles. Jean-François continuait à sonder ce mystère. Il déploya de longs tissus sur la chaussée et enregistra les reliefs presque imperceptibles de la route, ancrant sur place, de son rouleau, les aspérités du tarmac. Le résultat (livré en détails) est déroutant. Quant aux photos de jeunes pousses d’arbres que livre Caroline Léger, c’est, très clairement, chanson de vie et promesse d’avenir. Le ciel et les racines…
Peut-être avons nous peur des arbres, parce qu’ils vivent plus longtemps que nous. Mais ne l’oublions pas : l’arbre le plus solitaire n’est jamais seul, car tout en lui est promesse. Et ce petit livre l’illustre avec beaucoup de juste éloquence.

Joseph Bodson