Catherine Barreau,  La Confiture de morts,  Weyrich, 2020.

Un titre mystérieux, inquiétant, pour un roman qui sort, à tous points de vue, de l’ordinaire. Sans exergue, il nous rappellerait peut-être, s’il lui en fallait une, cette phrase de Colette, tirée de « La Vagabonde » : Ecrire ! Verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur… L’auteur, une Namuroise peu connue des lecteurs, psychologue de formation, s’y emploie avec un talent indéniable, une audace, une fièvre, une fougue, un goût de la provocation rarement rencontrés dans nos Lettres belges. C’est, en deux mots, le combat d’une très jeune femme, avec elle-même, son enfance douloureuse,  pour et contre son entourage, sa terre lointaine et perdue, face à ses professeurs, ses condisciples, ses soignants, son destin obscur. Tout, ou à la limite du tout, dans ce livre est combat, confrontation, opposition, parfois très lourde, repli, retraite, abandon lucide, méfiant et sélectif. Plus de trois cents pages rédigées dans un style haletant, violent, baroque ou bondissant, une langue inventive et hérissée d’invectives, dopée à la sève de genêt, celle dont on  fait les balais de sorcière,  outrée souvent, toute pareille, au gré du récit et de ses dénivelés, à une rivière échevelée ou en crue, charriant à la fois l’algue poétique d’Ophélie et les débris brutaux d’un barrage rompu.. L’action – les réactions, devrait-on dire…- se déroule alternativement à  Namur, dans une maison située sur une pente de la Citadelle, et à Mortepire, à la frontière entre les Ardennes et la Gaume, à un tir de flèche de la Semois mais à mille lieues de la civilisation. Une réplique de Maupertuis en quelque sorte, façonnée ici à l’argile et à l’humus forestiers. Le clan auquel appartient Véra, l’héroïne, vit sombrement, à l’écart des habitations (le nom de ce lieu inhospitalier rappelle celui du village de Mortehan et de l’ardoisière de Morépire, près de Bertrix) et lui sert à la fois d’aimant et de repoussoir, de foyer et de repaire maudit et irrésistible car son être profond s’y est construit, défait et tourné définitivement vers la solitude rebelle, la résistance, cinglante ou désarmée, furieuse ou retranchée à l’ombre d’une véritable forteresse de refus. L’intrigue, très habilement conduite, se tisse autour d’un carnet, caché dans la grande maison familiale, lequel contient une incroyable confession, d’une crudité morbide, dont le contenu explique la nature du désordre et de l’attitude sauvage et déroutante manifestée par Véra. Le lecteur va vivre sa quête et son profond désarroi, ses éphémères heures de désir et d’attachement, avec empathie ou perplexité, tant les situations sont surprenantes et certains épisodes éprouvants. De notre côté, nous avons emprunté chaque chemin avec entrain et courage et trouvé à cet itinéraire tortueux, schisteux et souvent périlleux un « charme » ensorcelant. Du pur Merlin au féminin, très désenchanteur…

Le roman a reçu le Prix Rossel 2020. Un annus horribilis vraiment pas comme les autres…

                                                                     Michel Ducobu