Christiane Levêque, Ravaudages, Bruxelles/Mons, Traverse/Couleur Livres, coll. Lentement, 2017, 112 p. (13€)

Une nostalgie qui se refuse à la mélancolie

Les souvenirs nourrissent notre mémoire. Dans celle que ravaude Christiane Levêque, il y a des personnages de sa famille qui, chaque fois, la situent « à la croisée d’une nostalgie ». Ces portraits se mêlent aux événements de sa jeunesse, ce qui entraîne quelques répétitions presque inévitables.

En premier, Tante Ninala modiste, un peu désordonnée,  nous emmène dans une mercerie de jadis, montre son travail artisanal. Elle s’avère aussi la femme qui transmet à sa nièce sa peur des enlèvements d’enfants. Ensuite Pépère qui nous entraîne chez les colombophiles. Ce fut un ouvrier métallurgiste, syndiqué colleur d’affiches en période de campagne électorale, devenu échevin de l’enseignement pratiquant couramment le wallon de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Voici encore Mémère, née d’un père Flamand, ouvrier dans les filatures du Nord de la France finalement devenu fermier. Et puis un parrain à l’enfance malicieuse, à l’adolescence polissonne, à l’âge mûr plus culturel.

À travers ces récits transparaît la vie d’autrefois, la plupart du temps jusqu’aux années 1970. On y retrouve la ‘vieille fille’, celle de la famille qui ne s’est jamais mariée et vivait encore avec les autres dans la grande maison familiale sans confort ni commodité. On y retrouve des vies vouées à des labeurs peu valorisants pour des rémunérations peu gratifiantes.

Les coutumes du quotidien se lisent en inventaire dispersé. Le café, que parfois on torréfiait soi-même, offert aux visiteurs ; le poêle qu’il fallait recharger ; l’élevage à domicile des lapins et des poules ; les tartes aux cerises ou à la rhubarbe estivales ainsi que les gaufres d’hiver. On aimait « le lard et les frites, les sauces brunes et la mayonnaise ». L’enfance se délectait des « bâtons de chocolat ‘Jacques’ aux crèmes colorées toutes différentes ». Elle buvait de la citronnade ou « un grand bol de café clairet à la chicorée que tu faisais passer dans une longue chaussette. »

Les repères annuels étaient la procession, les ducasses, la Toussaint, le 11 novembre et ses monuments aux morts, la St-Nicolas, la messe de minuit de Noël, le nouvel an et ses étrennes souvent destinées à un carnet d’épargne en prévision de l’avenir. Ce n’était pas encore le temps des loisirs et de la surconsommation.

 Pour se distraire, c’étaient des parties de cartes plus ou moins acharnées au café pour les adultes et des châteaux de cartes  à la maison pour les enfants. On soutenait le club de foot du coin. On écoutait des émissions radiophoniques et on ne ratait pas, par exemple, « La famille Duraton » sorte de feuilleton humoristique sur Radio Luxembourg. Il arrivait qu’on aille quelquefois au bal à la Maison du Peuple.

Christiane Levêque ne s’efforce pas de faire de la littérature. Elle demeure dans la simplicité de récits déroulés au fil des réminiscences. Le choix stylistique d’utiliser le « tu » de manière anaphorique (le « on » et le « nous » sont rares) engendre un brin de monotonie. Elle affirme clairement que ce livre tente de combler le vide de la disparition d’êtres chers auxquels on regrette de n’avoir pas assez accordé de temps ; que ce livre «ne sera jamais que le ravaudage d’une regrettable absence : un texte, ni plus ni moins ». Mais nous la suivons avec intérêt, mêlant aux siens nos propres moments vécus.

Michel Voiturier (07.06.2019)