Christine Van Acker – Mon cher ami – Ed. Les déjeuners sur l’herbe – 144 pages – 15 €

 

Ce sympathique petit roman met en scène deux mondes opposés qui se rencontrent et s’interpénètrent pour le plus grand bonheur des intervenants. Guillaume, un adolescent de modeste condition, est amené fortuitement à être accueilli dans le château du baron Hubert de Four de Bucquentois-Lithurgue. Outre ce nom rocambolesque, le vieux baron est nanti d’une immense propriété, d’une nature originale et use d’un parler exagérément châtié. Il se prend d’amitié pour le gamin et entreprend de l’initier aux charmes du beau langage, de la poésie, de la nature, qu’il aime observer depuis son cabanon installé sur un arbre ou depuis son « chaudron » mobile… Guillaume se plaît d’autant plus dans ce monde paradisiaque que chez lui, ce n’est pas rose. Et c’est même carrément noir quand son père perd son boulot et le vit très mal, que sa mère a d’épouvantables soucis d’argent.

Hubert et Guillaume trouvent des terrains d’entente. Nous voyons le baron se mettre à utiliser un langage beaucoup plus courant, et même parfois étonnant, quand il intime à Guillaume d’ouvrir ses mirettes, ou ses quinquets, qu’il lui dit « Minute, papillon ! » ou agrémente une de ses phrases d’un « Na ! » enfantin tout à fait inattendu dans la bouche d’un vieil homme de cette classe ! Nous voyons Guillaume de son côté se faire dégrossir doucement et donner à son tour des preuves de ses capacités.

Le concept de départ pouvait sembler un peu artificiel car le début du roman se présente comme une « lettre » que Guillaume, devenu adulte, écrit à sa fille,  encore bien petite, ma foi, pour lui expliquer ce qu’il a vécu avec ce vieil ami. Et la lettre sera en fait un récit de plus de cent pages et dans un style qu’aucun enfant ne saurait apprécier ! Mais le récit est très agréable et l’on se dit que l’enfant le lira plus tard… L’auteur montre un souci évident de pédagogie, qui paraît dès les premières pages, quand on explique l’étymologie des mots duc et baron, quand on cite les différentes langues parlées au Congo… En témoigne aussi cette touche originale du fascicule intitulé « Carnet de Guillaume », inséré dans le livre, où sont repris tous les mots de vocabulaire jugés difficiles par le gamin qu’il était – comme à l’école ! On trouve dans le roman des clins d’œil à la culture, comme  le très beau poème de Verlaine ou la gouvernante nommée Mac’Miche.

Hubert apparaît à nos yeux comme un magicien, qui ouvre à Guillaume un univers nouveau, presque magique, comme quand ils arrivent à s’approcher « à quelques mètres » de cerfs en rut en plein combat, perchés tous deux sur un cheval nerveux et d’une blancheur immaculée. Quel tour de force ! Il a appris, dit-il, à gagner la confiance des animaux. Et il admire profondément leur sagesse : « La forêt animale, où le perdant n’est jamais humilié, où chacun trouve sa place, qu’il soit dominant ou dominé ». Voilà bien un roman qui chante et qui enchante, un livre traversé par un souffle de vie et d’amour de la vie.

Un seul oublié dans le happy end, hélas : le père du narrateur, qui reste en rade. Mais c’est la vie, elle n’est pas rose pour tous, même dans les romans.

 

Isabelle Fable