IChristophe Lombardi, Evasions, Sentiments rustiques, Cité ardente, poèmes, éditions Stellamaris, 1, rue Louis Veuillot, F-29200 Brest1

Trois recueils, parus  respectivement en 2017, 2018 et 2019, dans un élégant format quadrangulaire, sous une couverture très attrayante (Nathalie Lombardi).

L’auteur utilise la forme des tankas, poèmes japonais bien plus anciens que les haïkus, et usant avec bonheur de la reprise de certains vers à des endroits précis de la strophe – chaque poème ne comporte en effet qu’une seule strophe.Le genre offre de nombreuses variétés, les lecteurs auront intérêt à consulter internet pour en savoir davantage.

Mais, si la forme est d’Extrême-Orient, le vocabulaire, et le ton surtout, nous ramènent à la littérature française, entre Charles d’Orléans et les Grands Rhétoriqueurs, et même un peu plus tard, à l’époque des poètes libertins, aussi pittoresques et libres d’allure en leur style qu’en leur vie: Théophile de Viau, Saint-Amant, Régnier par exemple. Le voisinage de cet éloignement – à la fois dans l’espace et dans le temps, produit un effet d’étrangeté assez déroutant. Un peu l’effet que l’on ressent dans les comédies de Shakespeare, où la forêt d’Ardenne sert de théâtre à des scènes où l’action, pour une fois, est soeur du rêve.

C’est un exercice très difficile, même parfois périlleux, et qui ne va pas sans provoquer parfois une certaine hésitation, et même une claudication dans la démarche. Mon Dieu, des vers qui s’avancent à cloche-pied,, ce n’est pas si vilain, et l’on ne se plaindra pas trop de voir, de temps à autre, une belle claudicante au bras d’une belle noiseuse:

Sournoise.Comme son oeil ardent cajole, / Qui ne rougit de ses collets? / L’esprit soudain n’a de parole / Comme son oeil ardent cajole./ Elle n’est pourtant pas frivole / Dans le tournis d’oiseaux follets./ Comme son oeil ardent cajole, Qui ne rougit de ses collets?  (Evasions, p.89)

Mais voici, plus bref, plus sec, un extrait de Cité ardente, p.53, mieux adapté sans doute à la vivacité mosane, sous une autre forme de tanka: Depuis les sommets, / Transhumance des maisons / Jusqu’au bord du fleuve // A travers les escaliers / Que de chants pour me répondre?

On ne lui reprochera pas trop, d’avoir, en le croisant sous la feuillée, prisé un peu trop largement dans la tabatière de Saint-Amant, dans les Sentiments rustiques, p.68:: « Non, je ne trouve plus beaucoup de différence /A tenir le foyer ou voir l’irrévérence, / Car l’un n’est que fumée et l’autre un peu de vent /  C’est Saint-Amant je crois, qui avait terminé un sonnet par ces mots: Non, je ne trouve point beaucoup de différence / De prendre du tabac à vivre d’espérance / Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent. (je cite de mémoire). Et ce, d’autant plus que je me rendis coupable d’un pareil larcin, jadis, en fabriquant un poème en prose, sans m’en rendre compte, à partir d’une page de Carlo Bronne, qui n’en pouvait mais…et sans même y mettre de guillements. J’étais fier de mon aubaine, comme un braconnier de son lièvre aux collets d’Ardenne…Et cela, en toute innocence, et sans y voir le moindre larcin.

Une lecture en tout vas bien plaisante.

Joseph Bodson

Voir wikipedia:

Le tanka, du japonais tanka (短歌?littéralement chant court), est un poème japonais sans rimes, de 31 mores sur cinq lignes. Le tanka est une forme de la poésie traditionnelle waka (和歌?) et est plus vieux que le haïku, dont il peut être considéré comme un ancêtre. Il fleurit pendant la période Heian (7941192). Le tanka classique est toujours considéré au Japon comme la forme la plus élevée de l’expression littéraire. Sa construction en 31 syllabes ou sons, selon 5-7-5-7-7 n’est pas anodin. Cela correspond aux nombres sacrés 5 et 7. Le tanka est en lien étroit avec le shintoïsme qui est la voie du divin. Son concept majeur est le caractère sacré de la nature. Le profond respect en découlant définit la place de l’homme dans l’univers. Donc, autre résonance, le tanka met le poète en harmonie avec ce qui l’entoure. Autant la nature et ses différents mondes, végétal, minéral, animal.

Nous retrouvons cela dans la musicalité du tanka chanté en 5 et 7 syllabes. En musique, il y a un rapprochement entre le nombre d’or et la gamme la plus universelle, la pentatonique, formée de 5 notes (les notes noires du piano). L’autre gamme étant en 7 notes (les notes blanches du piano).

On mesure l’intervalle séparant 2 notes de musique en calculant le rapport des fréquences caractérisant respectivement la note la plus aiguë et la note la plus grave.

Le nombre 5 est le nombre du centre, symbole de la tradition philosophique éclairée, de l’harmonie, de l’équilibre ; il prend en compte la liberté, le mouvement et le changement.

Le nombre 7 est le symbole d’esprit, de connaissance, de recherche, de vie intérieure. Il est le cherchant infatigable de vérité.

Aujourd’hui, sa modernité consiste, non pas à changer sa forme, mais bien dans le choix des thèmes explorés en lien avec le monde d’aujourd’hui.