Claude Donnay, Pourquoi les poètes n’ont pas de ticket pour le paradis, poèmes, éditions L’Arbre à paroles (2022, 14 euros, 106 pages)

On se laisse entraîner, souvent surprendre, à la lecture de ces 40 textes en prose, aux titres évocateurs qui sont déjà en soi des poèmes.

Dès les premières lignes le ton est donné.
« Nous vivons une époque éteinte,
une vie de couvre-feu sous la cendre des villes et des rires,
une époque de portes borgnes et de voix assourdies,
de printemps rangé dans une boîte à trésors,
à côté d’une plume de cormoran, d’un marron chiffonné et d’un sous-verre estampillé Bière d’Abbaye. (…)
Nous vivons une époque éteinte,
mais moi je brûle à pleine peau, (…)
je brûle à l’endroit et à l’envers, en coup droit et en revers,
je prends feu dans cette époque éteinte,
petite et frêle lumière, que je tends par-delà les confinements (…)» (Poème pour une époque éteinte)

On imagine le poète et romancier Claude Donnay parcourir les rives de la Meuse, se laissant mener par des images, des réflexions sur notre époque et sur le monde comme il va souvent de travers, ou trop passif, absurde, fermé sur lui-même malgré les apparences.

Sans jamais d’indifférence pour ce qui l’entoure mais au contraire très attentif à la nature et aux choses, à l’instant, sans larmoiement mais avec grande lucidité, le poète sème sur sa route de cendre des souvenirs, des sensations relevant autant de la pensée que des sentiments, quelques désenchantements, mais surtout beaucoup d’élans et de nouvelles espérances.

Dans la pluie qui tombe, il voit « les empreintes d’une tristesse enroulée » en lui, et des fleurs qui se fanent, mais cette tristesse, il ne la subit pas, il l’accueille : « N’ouvre pas ton parapluie. Laisse ton regard se mouiller, appelle les nuages, les nuages de pluie, et chante, et danse, ils tirent ta maison. Et la rivière qui te traverse » (Poème pour des mains de pluie)

Au fil des pages il nous dit, nous crie même, la joie, le besoin de l’écriture, abri certes précaire mais qui n’en n’est pas moins salvateur.
« Cette impression gluante de perdre mon temps,
comme s’il m’appartenait »(…)« On croit que la vie obéit à la volonté
de qui peut la brider »(…) « Mais le jour se répand dans le sable
comme un seau tiré du puits,
sitôt versé sitôt englouti »(…)
« Quoi d’autre alors, sinon les mots
pour s’opposer à la déréliction de la vie ? »( Poème pour un balbuzard pêcheur)

« Les mots ne font pas d’ombre si le soleil ne les brûle à l’intérieur » (Poème cathéter)

Partout, n’importe quand, les mots viennent à lui et le font (re)vivre. Comme dans sa voiture, sur une autoroute, où il regarde le soleil se lever, à qui il raconte une histoire. « Tant d’histoires écrites sur le pare-brise, tant d’histoires dans le jour endormi, que le ballet des essuie-glaces renvoient au néant » (Poème de transhumance).

Toujours, la lumière est présente ; au bord de chaque chose, au bout de chaque pensée. Les mots lumière, feu, brûlot, brûler, en fusion, embraser…essaiment ce recueil à la fois très fort et tendre, extrêmement poétique, original.

Martine Rouhart