Disparaître sous la lumière pour apparaître à l’autre

Claudine Tondreau, L’adorante, Bruxelles, Samsa, 2016, 138 p.

Ce roman – qui se situe entre rêve et réalité, entre science-fiction et réalisme – appartient d’abord au domaine du portrait. Celui de la narratrice qui aimerait raconter ce qu’elle découvre. Celui d’une collègue de travail, Hildegarde, devenue comme une amie et qui souffre d’une maladie de type orpheline : une allergie à la lumière. Toutes deux sont confrontées à leur solitude, sont ballotées entre des absences et des présences.

L’écriture se nourrit ici d’analogies. Elle ne cesse d’effectuer des allers et retours entre l’histoire qui est racontée et le fait que c’est un récit ayant pour toile de fond un atelier d’écrivants où se rend la rapporteuse, tissant de la sorte une espèce de mise en abyme, brouillant les pistes.

De plus, la maladie d’Hildegarde étant un malaise étrange, il se construit un climat de bizarrerie qui se communique au quotidien des personnages. Le lien qui unit réalité et imaginaire se manifeste, par exemple, sous forme d’une confidence évoquant une personne avec tant de conviction que la voici soudain transmutée du souvenir passé au présent vécu. Voici aussi que les lieux eux-mêmes, une droguerie ou une papeterie, se colorent de fantastique.

Il y a une espèce de « combat perpétuel entre le monde extérieur» et les protagonistes. D’ailleurs, cette tension est favorisée parce que, à part un bref chapitre évocateur d’une voisine, le livre est rédigé au présent.  Autrement dit dans un temps qui est celui du vécu. Il y a également une brume mémorielle qui ne permet pas aux blessures d’Hildegarde de se révéler facilement.

À travers ce précaire et capricieux duo féminin, deux vies se déroulent. On découvre peu à peu ce qui les rend attachantes. Autour des deux amies, on perçoit la présence d’un autre univers, non plus charnel cette fois mais minéral. Celui d’une ville où les architectes imposent des manières de vivre aux habitants, où les transformations urbanistiques se multiplient, où la cathédrale St-Michel et Gudule pèse de son emprise historique. C’est encore le minéral qui se dresse en jalons : les galeries Léopold II à Ostende, la grotte de Lascaux, une pierre noire énigmatique sertie dans une bague…

Peu à peu se révèle ce qu’il est possible de révéler et le roman se clôt comme il avait commencé : par une absence, lors d’une nuit qu’éclaire la lune.  Mais la ville cette fois n’est plus en mutation, elle est, à l’instar des capitales du monde, en proie à « une guerre dont on ne connaît pas l‘ennemi ». Qui ressemble furieusement au terrorisme.

Michel Voiturier