Colette Nys-Mazure, Par des sentiers d’intime profondeur, préface d’Alexis Jenni, éd. Salvator,  2022, 208 pp, 50 €

Colette Nys-Mazure a trouvé en ce thème du chemin, des sentiers, une piste qui lui convenait particulièrement. Un symbole, celui de notre vie intérieure, de nos démarches les plus intimes, religieuses ou artistiques, humaines ou naturelles, et elle va en traiter d’un bel élan. Le tout formera un vivant portrait de tout ce qu’elle est, ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a partagé, ce qu’elle peut nous apporter. Chaque homme dans sa nuit marche dans sa lumière, a écrit Victor Hugo, et c’est aussi le titre d’un ouvrage de Julien Green. Premier signe, première piste, p.21: Je suis attachée à la culture, celle des champs – deux de mes quatre arrière grands-pères étaient fermiers-cultivateurs, celle de l’imaginaire et de l’esprit, comme du coeur. Et elle a bien raison d’insister sur le lien qui existe toujours entre le travail manuel et la vie de l’esprit, ses aventures. Notre monde a trop tendance à l’oublier. Et elle insistera: Traverser les fractures, les ruptures, le pressentiment d’un avenir limité, oui, la marche soutenue m’apparaît comme une métaphore de l’existence: apprendre à marcher, une telle aventure! On ne le dira jamais trop: nous n’avons jamais fini d’apprendre à marcher.

Et le chapitre deux revient sur cette intime liaison  de notre vie intérieure et du monde.: En solitaire, ouverte au monde: le monde, aussi bien celui de la nature, qui nous adresse des signes multiples, pour peu que nous y soyons attentifs. Et, passant ici aussi du monde extérieur à celui des hommes, elle insistera sur la nécessité, pour les enseignants, de s’intéresser tout spécialement aux ados en difficulté: leurs incartades sont signes de détresse, bien souvent. En compagnie, une joie multipliée: Ici aussi, elle insiste non sur les réussites premières et plénières, mais sur celles qui résultent d’une difficulté surmontée, sur la réussite d’un rapport qui était en train de se relâcher. C’est précisément la difficulté surmontée qui donne son prix à la relation renouvelée.  Ecrire ou bien marcher, nous dit-elle, mais en compagnie: que nous le voulions ou non, nous ne sommes jamais seuls, les bruits du dehors sont là pour nous le rappeler. Ecrire, c’est bien sûr une autre façon de se parler, d’où la nécessité de ne jamais oublier l’écriture, et d’entretenir sans cesse ce lien qui nous fait membres de la grande communauté de ceux qui écrivent. Ses écrivains favoris, Jaccottet, Jean Follain, Michel Butor, pour ne citer qu’eux, sont des compagnons de route. Et cela nous vaut une belle formule, p.50: …communiquer l’émerveillement de pouvoir exprimer ce qui se vit en eux et autour ‘eux ici, maintenant et autrefois, Nous rejoignons ainsi Albert Camus, qui disait: Chaque homme doit dire qui il est, pour s’aider lui-même et aider les autres à vivre. Et encore, p.55, après une promenade sous la pluie: Je me décide à rentrer, à marcher dedans, à écrire. (…) Il s’agit donc d’inventer une autre forme de marche. Un déplacement intérieur, une balade tournant à la ballade parfois. Et cette adjuration pressante, p.75: Faites attention à cet air plein de la respiration passionnée des dernières feuilles de tilleul, à l’éclat et la splendeur de cette journée, parce que ce jour ne reviendra jamais, jamais! Et cette conclusion pressante, p.81, qui pourrait servir de bréviaire: Oui, je marche et je marche encore par petits et grands chemins à travers la campagne immédiate, je suis toute à l’ici maintenant mais simultanément se découvre l’horizon du souvenir et ses associations imprévisibles: elles confèrent à l’existence son épaisseur et sa densité, qui s’effacera avec nous, mais peut se partager, se transmettre.

Viendront ensuite les voyages en train, les voyages à travers la ville, soulignant sa faculté de s’adapter à tous les êtres, à tous les milieux. Et puis les résidences d’écriture, notamment le Mont Noir, où vécut Marguerite Yourcenar. et le village de René-Guy Cadou, non loin de Nantes, non loin de ces grèves fluviales que hantait aussi le promeneur Julien Gracq. Et la Villa Médicis. Et la contemplation de certains tableaux, à Douai notamment, sous les couleurs de l’enfance ou de la foi en ses difficultés. Et toutes les épreuves surmontées, notamment et surtout après la mort de ses parents, tous les aléas d’une nouvelle vie. Il est même permis de se demander si, au cours de notre existence, ce ne sont pas ces difficultés qui, en forgeant notre courage et notre résolution à vivre, en viennent à nous donner notre vrai visage,.

Bien sûr, il ne m’est pas possible de tout citer, de tout évoquer de ce livre tellement riche, aussi fourni en carrefours, en brusques tournants, en sentiers perdus et retrouvés sous les frondaisons de l’été, sous les neiges hivernales. Oserai-je dire seulement, en guise de conclusion: que notre vrai visage porte en ses rides toutes les épreuves des chemins parcourus, leurs éclats de rire, leurs sourires et leurs brusques découvertes, leurs aléas et leurs blessures? N’en allait-il pas ainsi dans ces romans du Moyen-Age, où chacun des chevaliers du Graal portait comme un second nom l’épisode le plus clair de sa quête et de ses errances? Il me reste à remercier Colette de nous l’avoir aussi clairement rappelé, sans la moindre grandiloquence, en ce livre qui a la simplicité, le dénuement de ces humbles cahiers où le meunier comptait ses sacs, tout en notant les évènements majeurs de l’année, et le porion, les quantités d’abattage quotidien. Allons, le chemin nous attend, et il nous reste encore à faire quelques rudes journées.

Joseph Bodson