Colette Nys-Mazure, Vallotton, Le soleil ni la mort, collection Ekphrasis, 2013.

Le principe de la collection est simple: il est demandé à un auteur de s’exprimer à propos d’un tableau, de nous dire tout ce qui le touche, tout ce qui le traverse en regardant ce tableau. Ainsi ont déjà paru un livre de Françoise Lison-Leroy, Martin Drolling, Intérieur de cuisine, de Sylvie Germain, Paysage avec saint Christophe, de Patinir, et, de Colette Nys-Mazure, le Reniement de saint Pierre, du Pensionnaire de Saracosi.

Ici, Colette a parfaitement senti ce qui fait l’essentiel de ce tableau: la perception des images, des lignes, des couleurs, à propos de laquelle elle se montre très avertie, et sensible à l’ensemble comme au détail. Ici, ce contraste de l’ombre et de la lumière, qui renvoie à la phrase célèbre de La Rochefoucauld: Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face.

Et puis, cet enfant et ce ballon, la tache jaune, isolés dans la lumière. Il se dégage de l’ensemble une impression étrangement mêlée de paix et d’inquiétude, une sorte de course vers un malheur imminent. Sa propre – brève – biographie d’enfant vient s’y mêler: Comme j’éprouve l’élan risqué de la fillette au ballon. Ensuite, les personnages à l’arrière-plan: Ce pourrait être maman. Chaque peinture plus ou moins encore figurative nous fait imaginer une histoire que nous insérons, comme fait pour une greffe un jardinier, dans notre propre histoire.

Ainsi trouvons-nous à la page 33 un poème profondément émouvant, où nous la sentons atteinte au cœur, au centre même de sa vie. C’est une des illustrations les plus pertinentes que je connaisse de l’utilité, proche ou lointaine, de l’œuvre d’art: elle nous éclaire nous-mêmes sur le tréfonds de notre cœur. Le récit quitte le sol de la réalité-Vallotton pour rejoindre le rêve, et une nouvelle création.

Et c’est alors la mère, une de ces deux lointaines, qui prend la parole, pour exprimer sa crainte et son désarroi.pour la petite aux couleurs vives qui s’élance au soleil. Cette perspective est élargie à l’histoire du monde, et au roman de Vallotton, La Vie meurtrière, dans lequel l’ombre joue un grand rôle, Le récit de Colette Nys-Mazure, lui aussi, se déroule un peu comme une intrigue   policière , du plus simple au plus complexe.

Une grande    maîtrise dans la composition, dans l’agencement des éléments dans le temps lui-même non d’un récit, mais d’un exposé. Nulle hâte, chaque chose vient en lieu et place. Et c’est en effet de l’émotion maîtrisée que cette heureuse synthèse d’éléments de soi tristes et effrayants. Elle dit elle-même, p.50: Difficile de contrôler le kaléidoscope de la mémoire!   Tout fait farine à ce moulin-là. Dès qu’on va, tous sens aux aguets, on met en lien, en correspondances.  

Et ainsi   l’émotion, et la temporalité parvenues à leur acmé débouchent sur la poésie, comme en la voie royale où tout doit se résoudre, par le retour à l’enfance et à son accomplissement.

Et la nuit à la nuit

                                        murmure sa comptine austère      (p.57)

                                                                                       Joseph Bodson