charneuxC Daniel Charneux, Trop lourd pour moi, roman, éd. Luce Wilquin, 2014. 186 pp., 19 €.

Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple, car il est trop lourd pour moi, nous dit le Livre des nombres, en exergue. Mais chacun de nous n’est-il pas, à lui seul, tout un monde? Et, plus il est seul, un plus grand monde? En devenir, bien sûr, en possibilité. Et il faudra une grande part de vie, quand ce n’est pas une vie entière, pour en dégager son propre visage, sa propre personnalité. Car rien n’est jamais acquis, même si les données sont contraignantes, et mille carrefours nous sont offerts.

C’est sur cette infinie complexité qu’est bâti ce roman, dont le cadre est plus proche de notre quotidien que celui d’autres romans de Daniel Charneux. Bildungrsoman, bien sûr. Mais la vie continue après que nous nous sommes construits, ou avons cru le faire. Contraintes familiales, une mère possessive, surprotectrice, à laquelle le héros s’est trop attaché. Ah! Cette robe jaune imprimée de papillons! Un père tâtillon, règlement-règlement. L’enfant, puis l’adolescent, doté d’une sexualité faible, va se diriger vers la vertu, l’idéal…Un handicapé du cœur, dira-t-il plus tard. Il y aura aussi, comme en parallèle, l’opposition entre la ville et la campagne: campagne qui est une sorte de refuge, apaisant, auprès de la grand-mère, après la mort de sa mère, aux objets de laquelle il voue un véritable culte.

Et puis, il y a aussi la société, qui nous formate dans son moule. Dans ses moules. Il y aura Françoise aussi, mais Françoise, ce sera à la fin, un échec. Et de nouvelles formes de souffrance, liées à la modernité. Et il aura beau chercher un substitut à sa mère. Il retrouvera les traces d’une brève liaison qu’elle avait eue. Il y a le cinéma. Il y aura une avancée vers le bouddhisme, une désillusion. Il y a son métier, de psychologue scolaire. Tout ce que l’on peut mettre dans une vie. Il vit en surface, égoïste bien qu’il paraisse altruiste, dévoué aux autres alors qu’il se croit solipsiste. On ne se voit pas vivre. On rêve d’être.

Un homme sans qualités, Jean-Baptiste? L’homme qui a perdu son ombre? C’est terrible, une robe jaune imprimée de papillons. Le tragique est quotidien. Il n’est ni pourpre ni écarlate. Il est gris. Il ne crie pas, le tragique: il murmure, il chuchote. C’est terrible, de vivre encore.

Daniel Charneux a su trouver les mots, le style qui l’évoquent le mieux, dans leur simplicité.

Joseph Bodson