Didier Schmitt, Terminus Arctique, éd. Weyrich, 2019

L’auteur est ce que l’on peut appeler un homme, ou un savant, polyvalent: Médecin, fonctionnaire à l’Agence spatiale européenne (ESA),il a développé en lui-même une curiosité très étendue, et le goût de tenter de nouvelles expériences, alors que la plupart des gens sont plutôt frileux devant la nouveauté. De plus, il se connait fort bien lui-même, ce qui n’est pas la connaissance la plus répandue. Il s’intègre facilement dans un groupe, ouvert aux autres. Bref, toutes ces curiosités réunies, avec en plus une plume très alerte, expliquent le charme de ce livre, que l’on ne lâche plus une fois commencé.Ne dit-il pas, p.11:  Cette prise de distance par rapport à mon milieu de vie habituel, ma famille, l’exercice normal de mon métier, m’a appris à mieux me connaître.Normalement, un médecin n’est pas employé à temps plein en ces circonstances,. A la même page:J’ai eu l’occasion de participer, en 1994 et 1996, à d’autres raids entre côte de la terre Adélie et  Dôme C, en tant que médecin-cuisinier-conducteur d’engins. Sa mission officielle: activité complémentaire au programme de préparation à l’exploration planétaire  habitée qu’il dirigeait à l’ESA. Il évoque à ce propos un conflit toujours latent:  les puissances européennes, sud-américaines et océaniennes, qui possédaient les territoires de l’Antarctique, en avaient fait une sorte d’immense réserve naturelle vouée à la recherche scientifique, tandis que les derniers venus, russes et américains, auraient voulu les « libéraliser » en les ouvrant à l’exploitation minière.Rappelons en effet que si l’Arctique est essentiellement une banquise, l’Antarctique est lui un continent, qui culmine à plus de 3000 mètres.

Récit d’une mission scientifique , au départ de la Tasmanie (vous savez, cette grande île au sud de l’Australie, initialement peuplée de détenus, comme la Nouvelle-Calédonie (depuis lors, au lieu de détenus, on y croise beaucoup de touristes des classes moyennes chinoises), vers les bases des Terres australes et antarctiques françaises, en vue de les ravitailler et de procéder à de nouvelles expériences. Une première: les photos prises par satellite vont renseigner la caravane sur la météo, sa propre situation, ainsi que la nature du sol sur lequel elle doit s’avancer. On est loin de Scott et Amundsen, dont nous lisions les exploits dans les Belles histoires de l’oncle Paul, de Spirou, et dans la collection Marabout Junior. C’est que la science a fait du chemin depuis lors, et que les équipements d’autrefois sont devenus bien surannés. Notons aussi que l’auteur est également journaliste, et qu’il envoie ses articles à différents journaux et revues.Notons enfin que si les femmes dans ce type d’expéditions étaient initialement assez rares, la situation est en train d’évoluer en leur faveur.

Mais le mieux est que nous suivions, nous aussi, l’itinéraire de la caravane, depuis Hobart, chef-lieu de la Tasmanie, jusqu’à DDU (Dumont d’Urville) et Concordia, la station terminale. Fièvre des départs tout d’abord,, et prise de connaissance avec les  autres membres de cette expédition franco-italienne, mais dont les membres sont issus de différentes nationalités. Voici une citation qui pourra vous rendre l’environnement  plus parlant, p.67: (…) la banquise devant DDU aurait dû débâcler – se fragmenter puis partir avec le vent et les courants – à cette époque de l’année. Elle est toujours intacte. En fait, la banquise ne fond quasiment pas; c’est la houle, suite à une tempête, qui la fragmente, puis le vent emporte les fragments – le pack – qui vont fondre au large dans des eaux plus chaudes. Elle peut donc partir en l’espace de quelques jours, voire en une nuit. // Plusieurs facteurs jouent dans la stabilité de la banquise, qui est de l’eau de mer, comme les icebergs, formés d’eau douce, qui refroidissent l’eau sous-jacente, ce qui stabilise la glace de mer (la banquise). Ajoutons simplement que la tempéraure est beaucoup plus basse que dans l’Arctique, et que l’on n’y trouve point de pingouins, mais bien des manchots.Et cette précision, p.72, de l’expert météo: un anticyclone règne en permanence sur le continent. Durant l’été austral, des dépressions arrivent aux alentours des côtes. La houle ainsi formée fragmente la banquise, qui fait en moyenne deux mètres d’épaisseur. Cette année, l’anticyclone est plus étendu.Résultat: le mâle qui apporte la nourriture au jeune manchot s’épuise à traverser la banquise et finit par abandonner l’oeuf ou le poussin, d’où une véritable hécatombe. Et, pour l’expédition, la nécessité de transporter ses passagers par groupes de deux en hélicoptère..

La mission: organiser 3 raids de 2400 kilomètres en trois mois.. Et voilà notre médecin transformé en conducteur de véhicules extra-lourds, en terrain ultra-difficile. La neige, aussi bien celle apportée par le vent, comme le sable au Sahara, que la poudreuse à laquelle nous sommes habitués…de véritables grains de glace. Ce qui laisse place à la recherche quant à sa formation. les vents catabatiques, descendant du sommet des montagnes.La différence entre pôle géographique et pôle magnétique, qui n’est pas stable. Les problèmes de traction du matériel.. Des questions, des problèmes à n’en plus finir: l’occasion pour l’auteur d’exercer sa curiosité. Et, à ce niveau, les relations interpersonnelles sont précieuses, et l’ambiance entre les participants est excellente.  L’auteur arrive à des conclusions qui me paraissent assez justes en ce qui concerne la modification de notre climat; p. 175: Bien entendu, le climat va être déréglé, mais un nouvel équilibre se mettra en place, avec des dommages collatéraux et des souffrances que l’on aurait pu éviter.

Voilà! Il y aura bien des problèmes encore, avant d’atteindre Concordia, la base finale, et de regagner le monde civilisé (quel euphémisme!) Je vous les laisserai découvrir, sans vous accompagner jusqu »au bout. Une véritable manne de renseignements intéressants, comme je vous l’avais dit. Des problèmes scirntifiques exposés avec beaucoup de méthode et de clarté. Et, de plus, de superbes illustrations. on aurait tort de se plaindre…

Joseph Bodson

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