Dominique Neuforge, Jean-Marie Corbusier, ,. Textes: Dominique Neuforge, Peintures acryliques sur papier. Jean-Marie Corbusier, textes.  Le taillis Pré, collection Livres d’artistes, 15 exemplaires numérotés et signés.

La première impression, car c’est bien d’impressions, en premier lieu, qu’il va s’agir ici, est celle d’une fin d’après-midi un peu étouffante, de pierres chaudes et de brindilles qui craquent. Et la perspective d’un lendemain pareil. Fuite du temps? Paysage effacé. Nous sommes devant une ruine.  » dans ce dédale de vents, souvenirs qui apparaissent. » Faire revivre le temps. Une maison? Un espace d’air et de lumière que l’on a enfermés entre quatre murs et un toit. Un espace de temps. La fuite. Et le vent, toujours. Souvenez-vous, dans Regain, d’Arsule et son compagnon, de leurs mouvements sensibles seulement par un sillon dans les hautes herbes.

« Un os à vif marque le lieu d’un autre chemin. » Nos réunions, nos failles, sont tributaires du temps, chemins qui n’ont qu’à s’incliner. C’est le vent seul qui ouvre le chemin à la lumière; « un mouvement de la mémoire ».

« Incessant mouvement de la mémoire », et de cette maladie qui change de nom au fil des siècles: Urémie ou Alzheimer. Une nymphe au foyer du sel.

Les chemins, en fonction des maisons. Non point le cadastre millimétré des Romains, mais un village abandonné sur le dos d’une colline, en Provence, du côté de Banon, fait d’entrelacs et de repentirs, et semblant vivre, à défaut de maisons disparues, les plis et les replis du vent dans les hautes herbes. Ou bien en Argonne, du côté de la Haute Chevauchée, ces routes sans fin, en forêt, où les champignons poussent inviolés au gré des sentiers, non loin des tranchées abandonnées. Non loin des tranchées. De l’homme en tant que taupe. Musant avec le vent, éternel cache-cache. Tous ces bois qui chantent, Chantecoq, Canteloup, Chantemelle, « Le silence profond des choses qui se sont tues », ou parties, là en bas, dans la vallée. « Aller se suffit à lui-même ». L’air ici est libre, loin des murs. « Amener la naissance d’un vide » En soi et hors de soi. Rêverie d’Attila. « Les chemins qui font signe à travers l’air, à travers la mémoire, les dérives, espérances et la mesure du quotidien ».

Carrefour des Ardennes, Mazagran, Attigny n’est pas loin. De l’oubli. Tout est à créer. A refaire. Mais suffit-il d’une vie, quand tout s’oublie?

Les couloirs du vent, les eaux profondes. Les projets refoulés. Retrouver la source au milieu des marais. Mais il y en a  tant. L’autre côté du monde. L’intérieur des pierres.

Car il y a tous ces dessins, avec leurs couleurs soigneusement amorties, dans l’ombre ou la clarté. Aucune fausse note. Mais des galeries compliquées et souvent soigneusement parallèles, comme les fourmis, à la longue, en font des villes. Cordées. Encordées. Des comptes d’Aztèques.

Des couleurs rares, qui se complètent, qui s’agissent, qui s’assagissent jusqu’à former d’autres courants, parallèles à ceux du vent, et, de loin en loin, les rejoignant. Synesthésies. Des couleurs et des sons se répondent. Baudelaire.

« Chemins, quelques herbes folles,  quelques traces de vie, encore! »

Comme il le dit, « reste ce grand vent » Que serions-nous sans le vent? Comme s’il n’y avait que le vent, l’inclinaison, les hautes herbes. Comme si un Hermès enfant avait brouillé nos pistes, ferrant à l’envers nos chevaux et nos boeufs.

« Revenir à l’en-deçà des choses », dit-il.  Le dernier refuge. L’air épargné, mis de côté, de la chambre et du feu.

Le noir quart d’heure. L’éclat des veillées Les choses dans leur ordinaire. Qui se mangent, qui se boivent.

C’est le regard, à présent, qui trace son chemin; et nous râclons la semelle de nos souliers,  nous construisons, enfants, d’éphémères barrages de boue, arrêtant l’eau, arrêtant le temps. Nous traînons le temps qu’il fait, le temps qu’il faut. Il pleut des retards, des punitions, des retenues.

Mais le macadam est venu. Son goudron sert d’engrais aux chardons Quelles forêts de prêles et de gingkos attendent, à l’ombre des orages, les enfants de l’avenir? « Chemins discontinus où nous rêvons ».

Joseph Bodson

 

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