Elysabeth Loos,  L’amour est une géographie intérieure, Le Coudrier, 2018.

L’auteur a vécu un drame cruel et ne peut faire son deuil ou le tenter désespérément qu’en écrivant. De la prose poétique, une centaine de pages déchirantes, absolument superbes, dédiées à son compagnon. Rédigées selon une méthode, une façon de faire tout à fait surprenante : se projeter ailleurs, un peu n’importe où dans le monde et y vivre, dans un paysage imaginé, soit seule et ivre de souffrance soit aux côtés du disparu qu’elle retrouve « sous le sable », pour reprendre le titre d’un film de François Ozon dont le thème est  fort proche. L’autre est-il encore là, quelque part dans ma vie, présent dans toute sa chair adorée ? Le voyage de l’endeuillée nous conduit du Brabant à Lascaux, en Camargue, au-dessus du Grand Canyon, au large du Cap Horn, dans le désert de Gobi, à Fukushima,  au cœur de la forêt du Bandundu, partout et nulle part… A chaque station de ce pathétique et passionnant calvaire, Elysabeth s’immerge totalement dans un dépaysement dramatique et salvateur en même temps. Son amour est véritablement lié à la découverte, à l’expérience de lieux, de villes, de montagnes volcaniques, de plaines mongoles qui lui procurent la seule ressource possible quand un être est ravagé par l’absence de l’autre : faire encore comme si, revivre l’éternel retour, se laisser emporter par la roue ardente des sens, la soif d’exister dans les bras d’un défunt qui frémirait devant elle de désir, de regret, de son envie furieuse d’effacer sa mort absurde et incompréhensible. Je suis au milieu du chemin, une main tendue vers le granit de sa mort, l’autre ouverte vers les collines herbeuses de ma vie. C’est une femme brisée qui parle ainsi, le dos au deuil, le visage en feu, le cœur dilaté, la bouche pleine de phrases magnifiquement amoureuses. Il était l’amant, il était celui qui me rendait impudique. Et qui l’emporte toujours, elle, l’abandonnée, la naufragée, la veuve de tempête, dans une valse de vagues écumantes de vie.

                                                                  Michel Ducobu