Emmanuelle Ménard,  La tournée des chagrins, théâtre, ALNA éditeur.

Il y a chez Emmanuelle Ménard un don poétique évident, même si, dans cette pièce, ce n’est pas cela qui domine. Elle y raconte – et cela traîne un peu en longueur, il faut bien le reconnaître – les mésaventures de quelques clochards – ou semi-clochards, qui sont occupés à boire et à philosopher sur leur propre sort, sur la vie telle qu’elle est, telle qu’elle pourrait être. L’ambiance, bien sûr, n’est pas à la joie (il est vrai aussi que notre société ne s’y prête guère). L’un a perdu sa femme, l’autre sa situation, un troisième…Ils passent principalement leur temps à faire des jeux de mots faciles, qui ne prêtent guère à rire.

Mais, de temps à autre, comme un coin de ciel bleu au milieu de la grisaille, perce une phrase, quelques mots, qui nous transportent dans un monde tout autre, pétri de beauté, et c’est peut-être ce contraste même entre le très prosaïque et le vol d’hirondelle qui est la marque de l’auteure. Ainsi l’un de ses personnages dira: On ressemble à des manèges, des manèges de passage. Et, effectivement, tournée des chagrins, tournée des humeurs, cela n’arrêteb pas de tourner, une noria qui n’est pas drôle. Avec, en prime, l’image de la niche, où l’on craint de rentrer. On a le don de susciter ses propres emmerdes, nous dit-elle, et c’est bien vrai. Un bonheur qui ronronne comme un frigidaire, et c’est bien vrai. On pourrait aller s’asseoir sur un banc et attendre Godot. N’est-ce pas Aragon qui disait: C’est ainsi que les hommes vivent? Elle nous dit, elle: On ne va pas refaire l’amour. Non, il faudrait refaire les hommes. Et puis, de nouveau: Il doit faire le tour de la nuit. Décidément, on n’y échappe pas. Tournée des chagrins, des illusions perdues? Mais la vie a encore plus d’un tour dans son sac. Ce que l’on croyait perdu ne l’est pas entièrement, et ce qui était gagné ne l’est jamais définitivement.

Joseph Bodson