Eric Brogniet, Tutti cadaveri, l’Arbre à paroles.

A PRPOS DE LA TRAGEDIE DE MARCINELLE
UN LIVRET BILINGUE DE L’ARBRE A PAROLES
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Dommage… Je m’attendais à une évocation poétique qui puisse offrir aux 262 victimes et à leurs familles un blason du souvenir, de quoi soulager (le peut-on?) par les mots tant de souffrance.
Au lieu de ça, au lieu du projet auquel on ne pouvait qu’adhérer (rendre hommage), un texte qui joue du pêle-mêle équivoque.
On se souvient du beau film (en rien polémique) de PAUL MEYER : « Déjà s’envole la fleur maigre » (BE, 1960), qui réussissait à donner de l’immigration italienne un portrait saisissant sur les souffrances de l’exil et les beautés tout de même, tissées d’enfants dégringoleurs de terrils.
J’aurais voulu, par ce texte d’Eric Brogniet, retrouver cette qualité. On est loin des promesses.
Ce n’est ni un livre de poèmes (quoique l’auteur soit poète et célébré) ni un essai ni un compte-rendu objectif de faits tragiques (auquel cas l’ouvrage serait bien imprécis, bien partial) . C’est un texte polémique qui amalgame des faits qui n’ont rien à voir entre eux ( le naufrage du paquebot Andrea Doria – les bombes sur Hiroshima – la mission de Van Gogh en Borinage – les camps de la mort – la tragédie du 8/8/56).
A l’occasion du 50e anniversaire des événements terribles de Marcinelle, le Musée de la photographie de Charleroi avait édité un fort volume de textes et de clichés noir et blanc. Le texte de Christian Druitte, les photos saisissantes de Detraux et Paquay donnaient de la tragédie une vision large, documentée.
Pour le 61e anniversaire, L’Arbre à paroles publie, avec une belle couverture de Pelletti , « Tutti Cadaveri », un texte de Brogniet, une traduction du même texte en italien par Rio Di Maria et Cristiana Panella.
Le texte français – 17 pages – propose en page 15 :
& les châssis à molettes aussi appelés chevalements ou plus poétiquement belles fleurs se dressaient noirs sur le ciel bleu azur de ce pur matin d’été qui rendait le paysage du Pays Noir plus proche de la belle et pauvre Italie là-bas au bout des interminables voies ferrées qui irriguaient l’Europe
&qui avaient servi une dizaine d’années auparavant à transporter d’autres êtres humains qui seraient transformés eux aussi en brouillard &en matières premières, suie, engrais et savon pour le bénéfice de IG Farben, Messerschmitt, …
en page 21 : amalgame également d’événements tragiques qui n’ont rien à voir entre eux : corps « remontés sur des civières » comparés aux « papillons noirs de la fumée atomique … »
Etranges et douteux rapprochements entre des faits voulus par une industrialisation de la mort humaine commandée par le régime nazi et une tragédie NON VOULUE (quoiqu’il y ait eu de graves manquements dans l’intendance des fosses), entre Marcinelle et Hiroshima (victime des derniers ressauts d’une guerre mondiale atroce)…Quoi de comparable? Que veut-on prouver? Est-ce bien raisonnable de mettre en parallèle de tels faits dont le niveau de responsabilité est immensément divers!
Pourtant, il y avait, sous la plume de l’auteur, tous ces affleurements d’émotions dans la relation des faits familiaux (ces deux frères morts en se tenant la main – les souffrances de l’exil, des proches attachés aux grilles funèbres – l’habitat précaire des baraquements, la froideur d’une certaine administration loin des peines subies …), mais l’exagération polémique ôte à ces belles scènes leur force de conviction. Vraiment dommage : le respect humanitaire impose la neutralité ou la poésie revivifiante. La polémique ne sied guère à la tragédie qui broie les corps.
Fils d’un résistant de l’ombre, amoureux fou de l’Italie, passionné d’histoire contemporaine (si complexe), scandalisé par les sévices qu’on inflige volontairement à l’humain (de la Chine des derniers jours à la barbarie nazie et aux GOULAG soviétiques) , je dois l’avouer, j’ai été choqué par les amalgames que se permet l’auteur pour étayer sa thèse.
Quelques erreurs orthographiques (pose pour pause, par ex.)
Philippe Leuckx pour LES BELLES PHRASES.
Eric Brogniet, TUTTI CADAVERI, L’Arbre à paroles,2017, 48p., 10€.