Eric Dejaeger, Une femme à gros seins qui court un marathon, éd. Gros textes.grostextes.over-blog.com, 78 pp, 8 €.

Dérangeant, Eric Dejaeger? Bien pire. Il pense mal et il écrit bien. Il pourrait mieux employer ses talents? Je ne crois pas. Il a d’ailleurs de grands projets: quand on l’aura pensionné, il veut traduire en français tous les inédits de Richard Brautigan. Anarchiste, désaxé, hors normes? Mais, chère madame, si ces gens-là n’existaient pas, il faudrait les inventer. Par rapport à quoi fixez-vous vos normes? Par rapport à ceux qui n’y sont pas. Sans eux, il n’y aurait plus de normes. Comme tous ces beaux fruits d’autrefois, aux formes biscornues, au poids trop faible ou excessif pour entrer dans les cageots…vous savez, toutes ces vieilles variétés que l’on recherche aujourd’hui, après avoir abattu les arbres dans les années cinquante (l’Europe donnait des primes pour ça, en ce temps-là…). Par bonheur, les poètes hors normes, on ne les trouve pas encore sur les présentoirs des supermarchés, et on n’a pas encore songé à offrir des primes pour s’en défaire d’une façon ou d’une autre…

de jaeger

D’ailleurs, Jean l’Anselme a dit tout cela bien mieux que moi, en page 4 de couverture: Dejaeger est une sorte de Buster Keaton, sa poésie n’a pas le moindre sourire. Son sourire tient dans sa façon d’appréhender la réalité et de le dire. Il use d’une poésie parlée, gavroche, à cloche-pied qui dissèque les petits riens pour les sortir de l’anonymat. Sa poésie fouille le quotidien. L’humour tient, ici, dans ce regard porté sur l’inhabituel.

Si vous voulez changer d’air, lisez Dejaeger.

Je vous y engage.

 

Un extrait, tout de même, choisi au hasard: Sérénité campagnarde. Dix heures du matin./Aux chants des oiseaux/au bourdonnement des abeilles/au bruissement des feuilles/sous la brise légère/vient se superposer/venant du lointain/la cloche de l’église/du village.//Pour quelqu’un/qui a décidé/de lutter/contre la surpopulation.

Joseph Bodson